Un accord à confirmer
Bonjour à tous,
Je souhaiterais avoir votre avis sur une phrase où il faut accorder ou non le verbe.
Voici cette phrase, qui n’en est pas vraiment une mais elle est ainsi : « Une émotion très forte, comme je n’en avais jamais ressenti. »
La personne qui parle est de sexe masculin.
Doit-on accorder avec « je » ou avec « émotion » ? Cela paraît évident, mais à force, je finis par avoir un doute !
Et un grand merci d’avance pour votre éclairage.
En fait, on n’accorde pas le participe passé avec le sujet car il est employé avec l’auxiliaire avoir.
On pourrait accorder avec le Cod émotion (l’émotion que j’ai ressentie) qui est placé avant mais il est accompagné de « en » et donc on n’accorde pas. >>ressenti
Bonjour Catherinette,
Le participe passé dont le complément d’objet direct est le pronom neutre et partitif en reste invariable. Ex. :
– Des fraises, j’en ai mangé.
Toutefois, le pronom en n’est pas toujours complément d’objet direct. Ex. :
– Laure visite les États-Unis, regarde les photos qu’elle m’en a envoyées.
(le participe passé s’applique au référent « photos », représenté par le pronom relatif « que ». Donc, on accorde. « en » a pour référent « États-Unis ».)
L’astuce, c’est que si on peut retirer “en” de la phrase sans en modifier le sens, alors il faut accorder le participe passé ; si la phrase perd son sens, on n’accorde pas. Ex. :
– Laure visite les États-Unis, regarde les photos qu’elle m’a envoyées.
(“en” peut être retiré sans modifier le sens, alors accord.)
– Des cerises, j’ai mangé.
(“en” ne peut pas être retiré car la phrase perd son sens, donc invariabilité.)
Précisions que depuis 1976, un arrêté ministériel permet l’accord du participe passé avec le complément qui précède en. Ex. :
– Des batailles, Napoléon en a gagnées.
Cependant, je vous conseille de ne pas prendre en compte cet arrêté ministériel car l’Académie française et les plus grands grammairiens tels que Grevisse, Gosse ne s’en préoccupent pas et appliquent l’invariabilité.
Pour votre exemple, écrivez de fait :
– Une émotion très forte, comme je n’en avais jamais ressenti.
(“en” mis pour “émotion” est complément du participe passé.)
Bonne journée.
Merci Joëlle et merci Tony,
et bonne journée !
Catherinette, Tony,
je vous signale que :
1° Grevisse et Goosse, dans la 12e édition (et peut-être d’autres) du Bon usage, citent de très nombreuses phrases de grands écrivains qui accordent le PP précédé de en et reproduisent in extenso le texte de l’arrêté ministériel du 28 décembre 1976 (« arrêté Haby »), encore en vigueur, que vous évoquez.
Le point 11 de cet arrêté, publié au Journal officiel de la République française, est ainsi rédigé (cf. p. 1701) :
« 11. Accord du participe passé conjugué avec avoir dans une forme verbale précédée de en complément d’objet de cette forme verbale : J’ai laissé sur l’arbre plus de cerises que je n’en ai CUEILLI.
J’ai laissé sur l’arbre plus de cerises que je n’en ai CUEILLIES.
L’usage admet l’un et l’autre accord. » (Cette dernière phrase figure dans un encadré.)
2° On ne peut pas conseiller à tout un chacun « de ne pas prendre en compte cet arrêté » puisque, dans les examens et concours de l’éducation nationale, du primaire et du secondaire, il n’est pas compté de fautes à ceux qui font l’accord, Cela est, bien sûr, intéressant à savoir pour les candidats.
3° D’autres excellents ouvrages font état de et exemplifient l’arrêté de 1976 en question.
Il en est ainsi du Grevisse de l’enseignant de 2017.
Il en est de même du… Bon petit usage de la langue française (2018) qui « énonce les tolérances orthographiques chaque fois qu’elles s’appliquent ». C’est ce qu’il fait p. 408 (rubrique intitulée « Participe passé précédé de « en ») en ces termes : « Dans tous les cas, on admettra les deux accords ». Il donne ensuite deux ex. de l’inv. et deux de l’accord. Par ex., celui-ci : « Les personnages qui allaient entrer seraient, non pas des acteurs connus pour réciter comme j’en ai vus une fois en soirée, mais des hommes en train de vivre. » (M. Proust).
On peut citer encore l’ouvrage qui est pour beaucoup la seconde meilleure grammaire française : la Grammaire méthodique du français, qui invoque l’arrêté de 1976 et en tire les conséquences en matière d’accord.
Bonne soirée 🙂
Merci Prince pour vos explications, ce n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire, finalement !
Bonne semaine !