proposition subordonnée circonstancielle
Bonjour.
Ma question est la suivante : dans une proposition subordonnée circonstancielle, un pronom personnel sujet peut-il renvoyer à autre chose qu’au sujet de la proposition principale ? Un exemple :
« Pierre n’a pas pu mettre le bagage dans le coffre parce qu’il était trop grand ».
La phrase est évidemment très ambigüe (et devrait donc être écrite autrement !) et le « contexte » donne envie de répondre que le ‘il’ renvoie à ‘bagage’ et non à ‘coffre’.
Mais la règle grammaticale n’impose-t-elle pas que le ‘il’ ne se rapporte ni à bagage ni à coffre mais à… Pierre en tant que sujet de la proposition principale ? C’est un (vieux) souvenir de lycée qui me laisse penser cela, mais je ne trouve rien sur la question.
Ce qui me gêne, c’est l’idée de clarifier par le contexte. Il me semble que les règles de grammaire doivent être indépendantes de toute subjectivité.
Votre question est des plus intéressantes et rarement évoquée sur ce site. Ce que l’on appelle l’amphibologie (ou équivoque) est un sujet d’étude pour les linguistes et concerne des domaines aussi divers que la psychologie, la rhétorique, la politique, l’humour ou la poésie. Freud lui-même a travaillé sur la polysémie des mots et le concept d’ambivalence.
Il est hors de question d’entrer dans le détail ici, mais on peut reclasser la difficulté que vous soulevez dans votre exemple dans une gamme plus large :
— lexique : polysémie (sens différents d’un même mot), énantiosémie ( sens opposés d’un même mot, louer par exemple), homophonie, etc. ;
— syntaxe : phrases mal construites, disjonctions ou insertions de mots, ponctuation, position de certains mots (un homme grand, un grand homme), etc. ;
— grammaire : les débats autour du rôle du genre dans le participe passé (accord de proximité) en donnent une bonne idée.
En résumé, il est inutile à mon sens de chercher des règles pour tous ces cas, si tant est que cela ait un intérêt. Il est de la responsabilité du rédacteur d’éviter le doute au lecteur ou au contraire de le provoquer comme un effet de style. À défaut, le correcteur – quand on a le bon goût de s’en payer un – se doit d’être attentif aux tournures ambigües : la distance qu’il a avec le texte l’aide en général à mieux en détecter les pièges.
Je livre enfin à votre rumination le phrase d’un maître du genre, San Antonio : J’achète à la brave dame de la réception un plan de la ville (dans Bas les pattes).
Votre question n’est pas très claire mais si je résume, elle pose le problème de la reprise pronominale, quelle que soit la proposition.
La règle est que le pronom soit explicite donc pas trop éloigné du nom (dans votre phrase, « il » est proche du coffre même si l’on comprend bien sûr qu’il s’agit du bagage…Toutefois, il peut y avoir une ambiguïté.
Je vous ferai porter un faisan par mon commis. Vous pourrez le mettre à la broche.
Nous avons repeint le bureau du chef qui était très sale.
Enfin, le pronom ne renvoie pas forcément au sujet de la principale.
J’achète beaucoup de bandes dessinées, parce qu’elles me font rire. ==>Elles (pronom) renvoie au COD de la principale.
Avez-vous besoin de compléments ?
Merci pour la réponse. Je comprends bien l’exemple que vous donnez (« J’achète beaucoup de bandes dessinées parce qu’elles me font rire »). Ce qui me posait (et me pose toujours) un problème est qu’il faille faire appel au contexte pour trancher :
« Les membres du Conseil municipal refusèrent aux manifestants l’autorisation de manifester parce qu’ils craignaient la violence »
« Les membres du Conseil municipal refusèrent aux manifestants l’autorisation de manifester parce qu’ils préconisaient la violence ».
Seule modification : ‘craignaient’ est devenu ‘préconisaient’ et ce que nous connaissons par ailleurs nous fait dire que, dans le premier cas, ‘ils’ renvoie aux membres du Conseil municipal et, dans le second, aux manifestants. Or il n’y a même pas de différence de nature entre les deux verbes qui, tous deux, indiquent des sujets actifs.
Bref, c’est une appréciation tout à fait subjective qui nous fait choisir (et c’est bien pourquoi, dans une rédaction soignée, il conviendrait de lever l’ambiguïté en écrivant la phrase autrement).
Pour en revenir aux deux phrases citées plus haut, elles sont reprises d’un texte sur un test supposé déterminer si celui qui répond est un homme ou une machine (test de Winograd). Or il me semblait (mais, apparemment, j’aurais tort) que, dans les deux cas et d’un point de vue strictement grammatical (et donc sans tenir compte du sens de la phrase), le ‘ils’ devrait renvoyer au sujet de la proposition principale, à savoir les membres du Conseil municipal. Auquel cas, les conclusions qu’on retirerait du test seraient tout autres.
Je comprends mieux. Donc pour lever l’équivoque, il faut construire votre phrase autrement :
– Craignant la violence, les membres du Conseil municipal refusèrent aux manifestants l’autorisation de défiler.
– Les membres du Conseil municipal refusèrent aux manifestants l’autorisation de défiler parce que ces derniers préconisaient la violence.
– A cause de leurs appels à la violence, les manifestants ne se sont pas vu accorder le droit de défiler.
Non, je suis vraiment désolé, je n’arrive pas à me faire comprendre mais ce n’est pas cela le problème.
Vous avez tout à fait raison sur le fait qu’il conviendrait, dans un texte soigné où l’on ne veut pas d’ambiguïté, de tourner les phrases autrement, pour lever l’ambiguïté justement.
Mais il s’agit ici d’un test informatique (destiné à remplacer le test de Turing) qui est justement basé sur l’ambiguïté de la phrase : le test s’appuie sur le fait que 1) Les phrases sont correctement construites ; 2) seul un être humain saurait répondre « les membres du Conseil municipal » dans le premier cas et « les manifestants » dans le second cas. Alors qu’il considère qu’une intelligence artificielle donnerait la même réponse dans les deux cas (peu importe quelle réponse) parce qu’elle se contenterait d’analyser la structure des phrases et considérera qu’elles sont identiques. Le test permettrait ainsi de distinguer si son interlocuteur est un être humain ou une machine : l’être humain donnera des réponses différentes aux deux questions, la machine donnera la même réponse aux deux questions.
Mais je ne vais pas vous embêter davantage avec cette histoire. Je reste étonné que, en français, l’analyse grammaticale (« à qui se rapporte le « ils ») dépende du contexte et non d’une règle sans ambiguïté. Mais bon, si c’est ainsi, il va falloir s’y faire !
Merci encore d’avoir pris le temps de vous pencher sur la question.
Je ne prends connaissance de votre seconde partie qu’après avoir rédigé ma réponse. Je comprends mieux le but poursuivi. Le test de Turing semble en effet appeler une nouvelle version pour affronter les défis de l’intelligence artificielle, notamment dans sa capacité d’apprentissage et celle d’imiter le comportement humain, ce qui n’était pas d’actualité à l’époque de Turing et des premiers ordinateurs. On peut confusément avoir l’intuition que la langue est discriminante et capable distinguer l’humain, mais que les modèles de confrontation doivent évoluer.
Il faut arriver à dégager ce qui reste, la conscience, cette sorte d’intraduisible « boucle étrange »…
Bonjour,
Vous posez la question suivante, accompagnée d’un exemple :
« Dans une proposition subordonnée circonstancielle, un pronom personnel sujet peut-il renvoyer à autre chose qu’au sujet de la proposition principale ?»
Question très claire qui amène à une réponse sans ambiguïté.
Pierre est très heureux parce qu’il est riche et en bonne santé.( le pronom «il» = Pierre)
Pierre est arrivé en retard à la réunion parce qu’il y avait un embouteillage.( le pronom «il» n’a pas de rapport avec Pierre)
La conjonction parce que introduit, après une principale, une proposition subordonnée circonstancielle de cause.
Dans l’exemple que vous citez:
« Pierre n’a pas pu mettre le bagage dans le coffre parce qu’il était trop grand». Il est évident que le pronom «il» n’a aucun rapport ni avec Pierre ni avec coffre(un coffre de voiture pourrait être trop petit). Donc «il» = bagage.
Pourquoi Pierre n’a-t-il pas pu mettre le bagage dans le coffre ?
Parce qu’ il (ce bagage) était trop grand.
Il n’y a donc aucune ambiguïté dans cette phrase.
Quant aux deux autres phrases :
La première est correcte
« Les membres du Conseil municipal refusèrent aux manifestants l’autorisation de manifester parce qu’ils craignaient la violence »
Pourquoi les membres du Conseil municipal ont-ils interdit la manifestation ?
Parce qu’ils craignaient la violence
La seconde doit être modifiée pour être cohérente(les membres du Conseil municipal ne peuvent pas préconiser la violence)
« Les membres du Conseil municipal refusèrent aux manifestants l’autorisation de manifester parce que ces derniers préconisaient la violence ».
Pourquoi les membres du Conseil municipal ont-ils interdit la manifestation ?
Parce que les manifestants préconisaient la violence
Je vous remercie pour vos deux réponses. À défaut d’être satisfait par notre grammaire, j’ai obtenu une réponse à mon interrogation sur la prétendue règle dont je supposais l’existence : Joëlle et vous me faites clairement savoir qu’il n’existe pas de moyen grammatical permettant d’évacuer l’ambiguïté – qui aurait pu être quelque chose comme : « quand le pronom personnel pourrait se rapporter à plusieurs personnes, la règle est qu’on choisisse le sujet de la proposition principale ».
À vrai dire, j’espérais cette existence, tant le test de Winograd ne me convainc pas, pour de multiples raisons. Mais en grammaire, pas plus qu’ailleurs, il ne convient de prendre ses désirs pour des réalités…
Le problème posé par les phrases que j’ai citées est le problème inverse de celui posé par l’énigme célèbre (Cervantes ?) où il faut obtenir une réponse importante et fiable de l’un des deux jumeaux qu’on a en face de soi et dont l’un ment toujours tandis que l’autre dit toujours la vérité : dans ce dernier cas, la question doit contraindre les deux interlocuteurs à répondre la même chose. Alors que, dans le test de Winograd, on cherche au contraire une réponse discriminante.
Merci pour votre allusion au livre de Hofstadter qui a été pour moi l’occasion de longues heures de travail. En tout cas, je vous remercie pour vos réponses et vous souhaite de trouver votre chemin dans la ville où vous devez vous rendre et où une réception est donnée.
Votre réponse signifierait que la seconde phrase est non seulement ambigüe (ce que souhaite justement son auteur) mais fautive – ce qui mettrait mettrait en cause le test, du moins rédigé avec cette question et en français (l’anglais est, à ma connaissance, plus permissif et le test y prend donc tout son sens).
Mais, telle que la question « Pourquoi les membres du Conseil municipal ont-ils interdit la manifestation ? » est posée dans votre réponse, il est impossible de répondre « parce qu’ils préconisaient la violence » en visant les manifestants puisque le groupe « les manifestants » est absent de la question.
Avec, pour question « Pourquoi les membres du Conseil municipal ont-ils refusé aux manifestants l’autorisation de manifester ? », les deux réponses – « parce qu’ils craignaient la violence » et « parce qu’ils préconisaient la violence » – deviendraient possibles.
Mais votre réponse se situe effectivement sur le terrain où je situais la question : la seconde phrase est-elle fautive (elle est clairement maladroite parce qu’ambigüe, mais cette ambiguïté est voulue par son auteur).
En tout cas, merci à toutes et à tous pour vos réponses.
Pendant de longues années le test de Turing, inspiré par les propos du célèbre mathématicien venu à bout de la machine Enigma, a servi à tester la capacité d’une machine à se faire passer pour un être humain. Le test en lui-même, basé sur des éléments de preuves empiriques, postule que puisqu’on ne peut réellement savoir ce qu’est l’intelligence elle-même, autant se focaliser sur la seule « pertinence » des réponses fournies par l’ordinateur même si celles-ci sont issues de programmes seulement ciblés sur la tâche à accomplir (et pour le coup fort peu intelligents).La société Nuance Communication a donc annoncé la création d’une compétition annuelle de test d’IA intitulée la Winograd Schema Challenge, une compétition pendant laquelle les « IA » seront évaluées selon des questions à choix multiples. Par exemple, l’ordinateur aura à répondre correctement à ce type de question :
– Le trophée ne rentre pas dans le sac parce qu’il est trop gros. Qui est trop gros ?
Réponse 0 : le trophée
Réponse 1 : le sac
Aussi évidentes que soient les réponses pour un être humain normalement constitué, elles demandent une véritable compréhension de la phrase et de son sens pour être choisies avec pertinence. De nombreuses questions sur le même modèle pourraient évacuer le risque d’heureux hasard statistique et permettre de dire que cette fois, la machine est réellement capable de raisonnement et pas d’une simple computation (même si sur le fond, il s’agira finalement d’une « simple » computation, peut-être d’ailleurs à l’image de ce qui se passe dans notre propre cerveau…).
À lire