Peut-on mélanger le passé simple et le passé composé dans un récit?
Bonjour,
J’ai toujours pris la règle selon laquelle un texte doit choisir entre le passé simple ou le passé composé pour indépassable, jusqu’au moment où je suis tombé sur la traduction de Philippe Jaworski de Gatsby le magnifique. Cette traduction mêle sans arrêt, dans la plus parfaite limpidité, l’emploi du passé simple avec celui du passé composé.
Comment expliquez vous qu’un si grand traducteur puisse ne pas respecter cette règle dans la traduction d’un si grand roman ?
Baptiste
Vous avez raison : passé simple ou passé composé, il faut choisir. En principe. Dans un récit court. En principe.
Mais le jeu des temps est extrêmement subtil (et fort intéressant à étudier) dans un roman.
C’est le cas ici.
Je viens d’en lire un extrait et le jeu entre passé composé et passé simple n’est bien voulu.
En effet le passé composé remplace systématiquement le passé simple à l’oral et dans certains écrits, mais il ne faudrait pas en déduire qu’ils aient exactement la même valeur.
– tous les deux ont un aspect non sécant ; ils présentent l’action dans sa globalité, et s’opposent à l’imparfait qui a un aspect sécant (nous plaçant dans le déroulement du processus)
– mais : le passé simple coupe le récit du présent du narrateur pas le passé composé qui au contraire rattache l’un à l’autre.
C’est ce que fait la traduction : quand le récit commence à peine, on est dans le souvenir, avec attache au présent du narrateur, quand le narrateur s’immerge complètement dans le passé, il choisit le passé simple.
Et on a constamment ce va et vient entre immersion totale dans le récit (passé simple) et retour à la conscience de la distance entre passé et présent (passé composé).
On n’a donc pas erreur, mais procédé d’écriture.
Votre question est très intéressante.
Merci pour votre réponse.
Ce qui est étonnant dans ce texte, c’est que le mélange peut avoir lieu au sein même d’une phrase :
«Pendant un instant, une phrase essaya de se former dans ma bouche et mes lèvres s’entrouvrirent comme celles d’un muet. On aurait dit que sur elles cherchaient à s’exprimer une force, bien plus qu’un souffle de surprise ; mais aucun son ne s’en échappa , et ce qui avait été tout près de revenir en mémoire est demeuré incommunicable à jamais. » Gatsby le magnifique, p 128 ; édition folio
en mettant au passé simple le dernier verbe, on peut sentir ce qu’on perd de l’effet que vous décrivez de « rattachement au présent du narrateur »
Baptiste