« Parvinssé-je » ? Inversion sujet-verbe au « je »
Bonjour,
J’aimerais comprendre une fois pour toutes comment fonctionne l’inversion sujet-verbe à la première personne du singulier, au présent.
Si je ne m’abuse, les verbes en -e prennent alors une terminaison en -é (–> « mangé-je » au lieu de « mange-je »).
Pour les verbes ne se terminant pas par -e, l’inversion est a priori réservée à une liste de verbes restreinte (« avoir », « être », « faire », et quelques autres verbes très courants).
Dès lors, est-il strictement fautif d’opérer une inversion avec un verbe ne faisant pas partie de cette liste ? Exemples : « parviens-je », « nourris-je ».
Autre question : je remarque qu’Antidote, dans la colonne « Euphonies », propose « parvinssé-je ». De quel temps s’agit-il là ? Est-ce une inversion au subjonctif imparfait ?
Merci beaucoup par avance pour vos réponses !
1/
Cet extrait du fameux courrier mauvais, qui a eu les funestes conséquences que l’on sait, de madame de Chaulnes adressé à son époux le duc en 1632 montre que la stricte inversion sans ajout de lettres euphoniques est parfaitement possible pour tous les verbes :
Je pars avec Armand ce soir ; où sont mes tords ?
Ce soir je pars. Pars-je trop tôt, pars-je trop tard ?
— Êtes-vous mal ? demandez-vous. — Non, vous réponds-je.
Ainsi vous mens-je, ami : je suis ce que je mange.
2/
Le mot « parvinssé ».
Au présent de l’indicatif, la construction « parviens-je » n’existe pas en pratique, mais c’est bien ainsi qu’il faudrait théoriquement l’écrire.
Au passé simple de l’indicatif, cette construction existe : « oui, parvins-je enfin à répondre »… Aucun « é » euphonique ne s’ajoute à ce passé simple, et le double « s » serait un problème supplémentaire.
Au subjonctif imparfait, l’inversion théorique de « que je parvinsse » donnerait bien « parvinssé-je », mais c’est la difficulté de trouver un exemple de phase qui rend cette utilisation douteuse.
On peut aller chercher cette possibilité progressivement.
On admet facilement, sauf l’exemple entre crochets :
— Aussi grands qu’ils soient. Aussi grand ssoient-ils.
— Aussi grands qu’ils fussent. Aussi grands fussent-ils.
— Aussi grand que je sois. [Aussi grand sois-je.]
— Aussi grand que je fusse. Aussi grand fussé-je.
Avec un autre verbe, aucun problème sans inversion :
— Aussi loin qu’ils parviennent à avancer, ils ne trouveront que le malheur
— Aussi loin qu’ils parvinssent à avancer, ils ne trouveraient que le malheur
— Aussi loin je parvienne à avancer, je ne trouverai que le malheur
— Aussi loin je parvinsse à avancer, je ne trouverais que le malheur
Pourquoi l’inversion est-elle possible entre « que je fusse » et « fussé-je » mais pas entre « que je parvinsse » et « parvinssé-je » ?
Cette inversion est syntaxiquement correcte ; elle est seulement rare :
— Aussi fort fussé-je et aussi loin parvinssé-je à avancer, je ne trouverais que le malheur.
3/
Pour les verbes pas en -e.
En inversant « je mens », j’ai déjà croisé « menté-je ». Mais pour avaliser cela il nous faut à la fois une justification étymologique, une règle syntaxique, et une référence lexicale. La règle du « une fois pour toutes » que vous demandez n’existe peut-être pas.
Cette pratique d’inversion sujet-verbe à la 1re personne du singulier est l’objet de débats depuis des siècles et ne peut se résumer.
Vous trouverez ICI un billet quasiment exhaustif sur le sujet.
Je ne le reprends pas mais souligne deux points :
— Une série de verbes est analysée en détail dont votre exemple avec prétendre.
— Comme l’Académie française l’a souligné, il est souvent peu productif de se lancer dans des constructions hasardeuses et il vaut mieux utiliser la forme est-ce que. Seuls quelques verbes monosyllabiques s’emploient couramment avec cette inversion. À l’oral ou à l’écrit, on prend à coup sûr le risque du ridicule, de la confusion ou de la critique sans aucun avantage stylistique.