Orthographie et orthographe : raisons de l’anomalie.
On peut assez facilement accéder à des sources montrant que le mot « orthographe » est une anomalie – bien sanctionnée par l’usage – pour qualifier l’art d’écrire correctement. Voir notamment Littré 1872 qui dénonce ce mot comme variante erronée d’orthographie.
Dans l’article orthographe, il pointe même : « Le grec ὀρθογράφος signifie qui écrit bien ; de ὀρθὸς, droit, et γράφειν, écrire ; l’art d’écrire correctement se disait ὀρθογραφία, qui en français donne orthographie. C’est donc un usage bien fautif qui a dit orthographe, au lieu d’orthographie, surtout si l’on remarque que, dans tous les composés de γράφω, graphe signifie le savant, et graphie l’art : un géographe et la géographie, un hydrographe et l’hydrographie. Cette faute paraît appartenir au XVIe siècle. »
Quelqu’un saurait-il trouver des circonstances et détails historiques (attestés) de cette bizarre substitution que nous continuons de perpétuer depuis cinq siècles ? Aujourd’hui, orthographie n’est plus qu’un terme technique d’architecture.
N. B. J’ai déjà les premières attestations connues des deux mots (orthographie en 1245 et orthographe en 1529). Ce sont les raisons de ce glissement que je recherche…
Bonjour,
On trouve ortogafie dans La Bataille des ars ("arts"),VII, du trouvère normand Henri D'ANDELI, du 13e siècle.
C'est la première attestation de ce mot selon le TLFi (1215).
Les oeuvres de ce trouvère ont été publiées avec introduction, variantes, notes et glossaire par A. Héron.
Je reproduis ci-après le passage pertinent et vous donne ci-dessus le lien correspondant au cas où vous ne les auriez pa trouvés.
"LA BATAILLE DES .VII. ARS 53.
2^5 Qu'el ne pot pas a toz refpondr
Vers ceux d'Orliens s'eft adrecie,
Qui Tont longuement effaucie.
En la parfondece d'un val
Li alafchierent fon cheval
*7o Qui fouftenoit Ortografie,"
Je n'ai pas eu le temps de lire tout ce "Théron", mais il me paraît intéressant de le faire. En effet, il d donne des indications
sur l'orthographe.
Une hypothèse:on a pu glisser de ortografie à ortografe par suite d'une erreur d'un copiste (selon Théron, les copistes en prenaient à leur aise avec les manuscrits, ne les transcrivaient pas fidèlement).
Dans le glossaire,figure Ortogeafie IV, 270.
Bonjour Prince. Merci d’avoir au moins cherché. La réponse n’est pas évidente ni déjà mâchée, ce qui est surprenant pour un mot aussi « sensible ».
Je ne sais d’où proviennent ces extraits sibyllins, mais ils prouvent au moins que la question n’est pas passée totalement inaperçue. L’hypothèse des variantes de transcription est applicable à de nombreux mots mais n’explique pas la validation par les lettrés de la Renaissance qui visaient justement à une normalisation cohérente.
Je suis épaté.
Je me suis souvent posé la question et ai parfois du mal à écrire « orthographe ». Que je vous remercie, Chambaron. Une fois de plus, je vous trouve remarquable !
Merci de nouveau Prince. Votre édition est plus facile de consultation et riche de commentaires que celle que j’avais. Le mot « Ortografie » se trouve page 53, vers 270.
Il semble que les trouvères aient été dans les premiers à demander une normalisation des écrits en français car elle leur permettait d’échanger et de circuler malgré la grande variété des graphies locales. La disparition du latin avait provoqué une certaine anarchie dans les façons d’écrire.