Notion d’adjectif invariable
À l’occasion d’une question posée sur un autre site, je découvre avec étonnement que certains substantifs, très classiques mais fréquemment utilisés en apposition, sont qualifiés d’« adjectifs invariables » par Larousse.
À titre d’exemple voici l’illustration pour « tendance » dans le Larousse électronique, présentation reprise dans la version papier 2017.
Quel est votre avis sur ce concept ? Est-ce une bonne idée ou un hybride aberrant ? Cela concerne potentiellement des centaines de substantifs utilisés couramment en apposition…
Bonsoir Chambaron,
Je ne savais pas que ces substantifs étaient qualifiés d’adjectifs par Larousse, et qu’ils étaient invariables.
Majoritairement, ces substantifs entrent dans la composition de mots composés (avec ou sans trait d’union), et sont aussi considérés comme des adjectifs, épithètes seulement, le plus souvent invariables : « choc », « clé », « éclair », autres exemples que vous donnez.
Les substantifs « tendance » ou « mode », sont qualifiés d’adjectifs et peuvent être épithètes ou attributs.
Je pense que cela vient d’une tendance à vouloir parler vite ou à exprimer une idée de façon concise et explicite, en évitant des phrases complexes, en supprimant les prépositions ou les subordonnées.
C’est déjà le cas, pour reprendre l’exemple d’Evinrude, des noms utilisés comme adjectifs de couleur.
Des « polos orange » ne sont-ils pas « des polos de la couleur de l’orange » ?
Je crains que nombre de substantifs soient utilisés régulièrement comme adjectifs, tout d’abord en entrant dans la composition de noms composés, puis en devenant de véritables adjectifs utilisés aussi comme attributs, mais invariables.
Ce sont des adjectifs car ils qualifient un nom, et leur invariabilité peut s’expliquer par le fait qu’ils se substituent à une subordonnée dans laquelle ils sont utilisés au singulier : ces chaussures sont très tendance = ces chaussures respectent la tendance de la mode actuelle.
Mais d’autres explications sont possibles !
On peut rapprocher cette évolution de celle de certains adverbes, prépositions, pronoms utilisés comme noms, le plus souvent invariables, (Il y a des pour et des contre, les comment et les pourquoi…) mais qui sont devenus pour certains, des noms couramment employés et qui peuvent prendre la marque du pluriel (prendre les devants, tous ces petits riens…).
L’invariabilité de ces adjectifs pourrait n’être que transitoire.
Bonjour Chambaron,
Je viens de découvrir, à la suite d’une question posée ici aujourd’hui, un autre exemple de cette bizarrerie:
Appareil photo. Larousse indique photo comme adjectif invariable ! Et Robert saute le pas en l’accordant. « Photo : adjectif. Des appareils photos. »
Les bras m’en tombent.
J’ai vu ladite question et les réponses. C’est un exemple type de la confusion.
Je donne dans ma réponse conclusive séparée le commentaire que j’ai reçu de l’Académie. Comme souvent, il ne lève pas les doutes et ne contribue pas à clarifier le débat pour les enseignants appelés à décortiquer cela face aux élèves. De toute façon, ils doivent déjà digérer le « prédicat »…
Merci à PhL et Evinrude pour vos réponses circonstanciées.
Ayant posé la question en parallèle à l’Académie, je vous fais part de leur réponse :
« Monsieur,
Dans son Dictionnaire, l’Académie analyse des formes comme antenne râteau, un anesthésiste réanimateur, valeur refuge comme des appositions.
Râteau, réanimateur, refuge répondent en effet à la définition que nous avons faite de l’apposition : « mot au groupe de mots juxtaposés à un nom ou à un pronom avec la valeur d’un qualificatif ».
Cela étant dit, il ne nous paraît pas aberrant de considérer que cette fonction de qualification est essentielle et justifie, comme le font certains grammairiens, de classer ces termes dans la catégorie des adjectifs. Mais, il convient bien de noter que ces adjectifs ou ces noms en apposition, si l’on préfère, ne varient pas tous en nombre avec le nom qu’ils qualifient. »
Suit un renvoi sur l’article bien connu de la « danseuse étoile » sur leur site.
On peut mesurer l’embarras gêné de ce texte : il n’arrive pas à trancher entre un « adjectif » et un « nom employé adjectivalement » et laisse la porte ouverte à des appellations tortueuses comme « adjectif invariable », avec des réserves complexes.
L’exemple des couleurs est intéressant : malgré les apparences, il conforte bien l’analyse ci-dessus. Autant « bleu » ou « vert » sont bien de vrais adjectifs, autant « orange » ou « canari » sont des noms utilisés comme adjectifs. C’est la constance de la formation de l’apposition — de la couleur de — qui leur a valu d’avoir une règle d’accord permanente et d’être assimilés avec le temps à des adjectifs. Mais cette appellation n’en reste pas moins abusive. Pour les autres noms, l’accord est plus ou moins fluctuant et cela demande à chaque fois une réflexion sur le contexte et le sens.
Pour en terminer, voici un lien vers cet excellent site qu’est Parler français qui montre richement la cacophonie sur le sujet, mais n’évoque jamais la confusion d’un nom avec un adjectif.
Bonjour Chambaron,
Je découvre aussi cette notion. Ma toute première impression est que ce n’est pas tout à fait nouveau, puisqu’un certain nombre de noms, utilisés comme adjectifs de couleur, sont considérés comme tels et invariables dans ce cas.
Il est vrai que la tendance (!) est à l’usage de noms apposés, employés comme adjectifs (épithètes ou attributs). De là à en faire des adjectifs à part entière…
Si l’on se réfère aux différentes définitions de l’adjectif, je ne vois pas que le choix du Larousse soit erroné, mais il me paraît bien inutile. Et la liste de ces « adjectifs » va être longue ! J’attends avec intérêt les autres réactions ici.
Zully
Je n’ai pas votre expérience du tout, mais je suis aussi étonnée. D’autant plus que je ne m’exprimerais pas comme cela, « à la mode » me suffit. Mais, pourriez-vous donner d’autres exemples? Je n’arrive pas à trouver quelque chose d’autre qui « collerait » à la définition du Larousse.
Chambaron
Les seconds substantifs dans les tournures suivantes sont autant d’exemples : prix choc, mot clé, film culte, voyage éclair, médicament miracle, chiffre record, etc.
Ils s’emploient aussi comme attributs : « C’est culte ».