Madame Bovary: « et se sentir emporter par elle dans sa volée »
Bonjour,
Je lis actuellement Madame Bovary de Flaubert chez Folio classique. Au cours de ma lecture, je tombe sur cette phrase:
« Il mangeait des mûres le long des fossés, gardait les dindons avec une gaule, fanait à la moisson, courait dans le bois, jouait à la marelle sous le porche de l’église les jours de pluie, et, aux grandes fêtes, suppliait le bedeau de lui laisser sonner les cloches, pour se pendre de tout son corps à la grande corde et se sentir emporter par elle dans sa volée. »
Je suis étonné par le « emporter« . J’aurais personnellement écrit « emporté ».
Lorsque je tape « et se sentir emporter par elle dans sa volée » dans google, j’obtiens 17 résultats dont des résultats google books qui montrent que cette orthographe est utilisée dans plusieurs éditions.
Cependant, lorsque je tape « et se sentir emporté par elle dans sa volée » dans google, j’obtiens 6 résultats dont ce lien https://www.ibibliotheque.fr/madame-bovary-gustave-flaubert-fla_bovary/lecture-integrale/page4. Il s’agit tout de même visiblement d' »une collection dirigée par Jean d’Ormesson ». Bien sûr, il n’est pas responsable de l’orthographe choisie, mais tout de même!
Quelle est la bonne orthographe ? Si la bonne orthographe est « emporter », alors quelle est la nuance au niveau du sens ?
Je vous remercie
Cordialement
Nicolas
Dans son manuscrit (http://www.bovary.fr/corpus/221/jpg/def_0_011.jpg), Flaubert utilise bien « emporté » et non « emporter » , ce qui me semble logique:
Il faut croire que nous avons affaire à plus d’un siècle (1881) de recopie d’une faute d’orthographe ! Heureusement que Jean d’Ormesson avait l’œil !
Bravo pour votre constance dans la recherche des pièces originales. La question des différentes éditions et rééditions d’un texte est un sujet des plus distrayants et qui réserve souvent beaucoup de surprises.
L’orthographe d’un texte publié est depuis l’origine de l’imprimerie de la responsabilité de l’éditeur (jadis via l’imprimeur qui disposait des correcteurs juste avant la composition finale). Les auteurs ont rarement eu de l’intérêt pour cette « science des ânes ».
Tous les ouvrages anciens (Rabelais, Corneille et tant d’autres) ont maintes fois été remaniés pour les remettre en phase avec les modes d’une époque. Chaque nouvelle édition du Dictionnaire de l’Académie était une occasion de mettre à jour les textes et la dernière cuvée ( 9e édition en cours et rectifications de 1990) amènera normalement le même phénomène. Le problème est que de nos jours la circulation incontrôlée de documents électroniques amène la diffusion de copies pirates et parfois pleines d’erreurs. Nous avons changé d’époque…
A la réflexion, je crois saisir la nuance. On peut dire « se sentir tomber » ou « se sentir pousser des ailes ». J’aimerais avoir des retours d’autres personnes malgré tout…
Pourquoi ce choix de l’auteur ?
« Se sentir emporter » ne pose pas de problème en lui-même. Tout dépend de ce qui suit, par exemple : « Il se sentit emporter le sac à l’extérieur dans un mouvement qu’il ne contrôlait pas ». On pourrait écrire, par exemple, « se sentir vibrer » et il ne faudrait en aucun cas écrire « se sentir vibré« . Ce qui pose problème est le fait que c’est suivi de « par elle », qui indique un passif. Il me semble qu’il faut « emporté » et que l’infinitif est fautif.
Quant aux « différentes » éditions, elles peuvent ne pas l’être tant que cela : un même fichier peut servir de nombreuses fois…
On a l’habitude de dire que soit le sujet subit l’action (d’où l’accord du participe passé) soit il l’effectue (donc infinitif). C’est une formulation courte qui évite de longues explications…
L’erreur semble remonter à l’édition de 1881, disponible sur le site de la bnf :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65527210/f21.image