« les Danton » ou « les Dantons » ?
Dans le module « Excellence » le PROJET VOLTAIRE signale que les noms propres « prennent néanmoins la marque du pluriel lorsque, par antonomase ils désignent des types plutôt que des personnes, « Peu après, il est écrit : »N’entrent pas dans cette dernière catégorie les noms propres qui, quoique précédés d’un article pluriel, ne désignent emphatiquement qu’une personne (Où sont passés les Danton, les Robespierre ?).« Comment distinguer l’intention de celui qui écrit « les Danton » qui vise la personne de Danton de façon emphatique et « les Dantons » qui prend un « s » par antonomase ?
A) Une antonomase
Une antonomase n’est pas un nom commun qui vient d’un nom propre, ni même un nom propre utilisé comme un nom commun. Et une antonomase ne concerne pas que les noms de personnes. Et que certains noms communs soient dérivés de noms propres par antonomase, ce n’est pas notre sujet.
Une antonomase est formellement une figure de style, qui désigne une chose par le nom d’une autre chose, en vertu de caractéristiques communes, celles du second étant supposées connues. Le mot grec signifie tout simplement « renommer ». Si je nomme telle maison « cathédrale », pour dire qu’elle est majestueuse, c’est par principe une antonomase. Mais on utilise en pratique ce mot pour parler des noms propres (on peut préciser « antonomase du nom propre »), et en particulier quand il s’agit de noms de personnes.
L’antonomase peut consister à utiliser le nom d’une personne pour désigner une autre personne. Si j’appelle un jeune écrivain « notre nouveau Flaubert » pour dire qu’il écrit des livres très ennuyeux (ou très beaux, ou autre chose), c’est une antonomase.
En revanche, ce n’est pas par antonomase que le mot poubelle vient du nom du préfet Poubelle.
B) Antonomase avec un nom de personne au pluriel
Quand l’antonomase consiste à utiliser un nom de personne, et au pluriel, peuvent se poser les questions de la majuscule et de l’accord.
Il y a quatre possibilités théoriques :
1. Ce sont les Mozart de la finance
2. Ce sont les mozart de la finance
3. Ce sont les Mozarts de la finance
4. Ce sont les mozarts de la finance
On comprend que vous ne nous demandez absolument pas le choix à faire. Il n’y a pas de choix personnel à faire, ni de conseils à accepter. Vous préparez un examen du Projet Voltaire, vous devez retenir leur règle, aussi arbitraire soit-elle.
Le Projet Voltaire préconise de conserver la majuscule et d’accorder au pluriel. Faites ainsi, ce n’est vraiment pas le moment de suivre d’autres règles que celles de l’examinateur. Et de toute façon, leur règle en vaut bien une autre.
C) L’emphase
Faire précéder un nom de personne d’un déterminant au pluriel est une construction emphatique. L’emphase au moyen d’un déterminant au pluriel consiste à parler réellement des personnes qu’on nomme, en y associant éventuellement une époque, une école, des traits de caractère, un contexte, mais on parle bien de qui on parle.
— Au ministère des Affaires étrangères, on a eu des Chateaubriand, des Schuman, des Villepin. On a désormais des Séjourné.
L’emphase ne compare pas, elle ne qualifie pas, elle nomme. On désigne une personne singulière par un pluriel emphatique qui déborde de la personne.
D) Votre question
Vous demandez seulement comment distinguer une antonomase (emportant l’accord) d’une emphase (n’emportant pas l’accord) quand on a un nom de personne précédé d’un déterminant au pluriel.
Vous pouvez tenter d’utiliser les critères ci-dessous pour choisir entre antonomase et emphase.
a) Si vous pouvez retirer le déterminant pluriel et passer au singulier, c’est une emphase
— Les Balzac sont morts et ne reviendront plus –> Balzac est mort et ne reviendra plus
Si vous ne pouvez pas, c’est une antonomase
— Les Balzacs de notre époque ne passent pas à la télé –> Balzac de notre époque ne passe pas à la télé ???
b) Si vous pouvez utiliser l’expression au singulier, c’est une antonomase
— Ces types sont des Mozarts –> Ce type est un Mozart.
Si vous ne pouvez pas, c’est une emphase
— Les Mozart ont disparu ; maintenant c’est Claude François la norme –> Le Mozart a disparu ???
c) Si vous pouvez nommer la personne qualifiée, c’est une antonomase
— Nos Mozarts de la finance travaillent dur –> Les Mozarts de la finance que sont Macron et Lemaire travaillent dur
— Ma classe de littérature est un nid de Balzacs –> Mes élèves Jules et John sont des Balzacs
— Les Balzacs de mon enfance se nommaient Proust et Mauriac
Si vous ne pouvez pas, c’est une emphase
— Les Balzac, les Hugo, nous manquent cruellement –> Ils se nommaient comment ??? Balzac et Hugo, je viens de le dire
d) Si vous pouvez ajouter un adjectif modulant la formulation, c’est une antonomase
— Les Adjanis qui sont révélées chaque année à Cannes… –> Les nouvelles Adjanis qui sont révélées chaque année à Cannes…
— Les Balzacs sont rares –> Les nouveaux Balzacs sont rares, mais ma classe est un nid de petits Balzacs
Si vous ne pouvez pas, c’est une emphase
— Les Balzac sont morts et ne reviendront plus –> Les vrais/petits/nouveaux Balzac sont morts ???
E) Les Danton(s) et les Robespierre(s)
Dans « où sont passés les Danton et les Robespierre »,
a) peut-on remplacer « où sont passés les Danton » par « où est passé Danton » ? oui
b) peut-on écrire « où est passé le Danton » ? non
c) peut-on les nommer ? non, ils s’appellent simplement Danton et Robespierre, même si leurs noms évoquent plus largement un groupe ou une idée
d) peut-on les déterminer plus précisément ou les nuancer par un adjectif ? non
–> emphase
Dans « les Dantons et les Robespierres qui nous gouvernent méritent leur salaire »,
a) peut-on remplacer « les Dantons qui nous gouvernent » par « Danton qui nous gouverne » ? non
b) peut-on passer au singulier pour ne parler que d’une personne ? oui : le Danton qui nous gouverne mérite son salaire
c) peut-on les nommer ? oui : les Dantons et les Robespierres qui nous gouvernent s’appellent Albert, Bernard, Arnaud, Norbert, et Bertrand
d) peut-on les flanquer d’un adjectif ? oui : les nouveaux Dantons et les petits Robespierres…
–> antonomase
Il faut bien comprendre que l’antonomase est un état intermédiaire entre le nom propre et le nom commun. Ce sont des noms qui sont en voie de devenir des noms communs et c’est ce que révèle l’usage plus ou moins réglé de l’emploi des majuscules et de la marque du pluriel.
Ainsi des Harpagons, des Apollons (on conserve généralement la majuscule même si le nom porte la marque du pluriel, parce qu’on « sait » encore qu’ils ont été des noms propres -et qu’il en sont d’ailleurs encore dans leur contexte ici littéraire.
Mais qui se souvient que poubelle, mécène, scotch, mobylette, silhouette… ont été des antonomases ? Dès lors que leur origine est oubliée, ces noms sont devenus des noms commns, ils se sont entièrement lexicalisés.
Plusieurs degrés donc :
– le nom propre est lexicalisé : minuscule +S pluriel
– le nom propre est en cours de lexicalisation (antonomase d’usage courant) : majuscule +S pluriel
– le nom propre est encore ressenti surtout comme tel (antonomase fraîche) : majuscule – pas d’S pluriel
Entre les différentes étapes, il y a évidemment un flou, d’où la difficulté parfois de choisir ou non les marques du nom propre.
Ce n’est pas simple en effet ! S’il y a antonomase, le nom propre est devenu nom commun, normalement avec perte de la majuscule (ce n’est pas toujours le cas mais ça le devrait) et marquage éventuel du pluriel. Cela se fait par l’identification d’un trait particulier de la personne ou du personnage, ce qui permet d’employer le mot hors d’un contexte spécifique : des harpagons (avarice), des rastignacs (ambitieux), des adonis (beauté), des mécènes (protecteurs des arts), des cassandres (prophètes), des casanovas (séducteurs), etc.
Il n’y a pas antonomase si le nom propre est employé par pure comparaison dans des circonstances précises, historiques le plus souvent. Il s’agit alors d’une métonymie de l’expression « des gens de l’envergure de X ». Si je dis « il nous manque des Balzac », je ne fais pas allusion à un attribut spécifique mais à la dimension culturelle de l’écrivain et éditeur qu’il était.
Quand donc l’expression « les Balzacs » peut-elle être utilisée ? Quand je veux simplement parler d’un grand écrivain, ( comme étaient relevés comme exemple dans le module « les Deneuves ou les Adjanis » pour parler des grandes comédiennes en voient de disparition) ?
Comme expliqué en seconde partie de ma réponse, il n’y a pas lieu de mettre un pluriel à ces noms de personnes, surtout encore vivantes. Ce ne sont que des exemples proposés sous leur nom propre…
Merci beaucoup ! mais alors il convient de revoir le module en question.
Le texte du Projet Voltaire que vous rappelez dans votre question est parfaitement compatible avec ma réponse. Il y a toujours une petite marge d’incertitude pour certains cas, en particulier pour la majuscule mais ce n’est pas l’objet des questions qui portent plutôt sur le pluriel.
Tara
Attention : on ne peut parler d’antonomase qu’à propos des noms propres.
Il n’y a en réalité que métaphore dans l’expression ma maison est une cathédrale : on a en effet bien là une comparaison sans outil de comparaison (avec le signifié maison)
Voici une définition précise (Vitrine Linguistique mais qu’on peut trouver partout) :
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Figure de style qui consiste à remplacer un nom commun par un nom propre ou, à l’inverse, à remplacer un nom propre par un nom commun ou par une périphrase.
Notes :
Les noms communs devenus noms propres par antonomase s’écrivent avec une majuscule initiale; de même, les noms propres employés comme noms communs s’écrivent avec une minuscule initiale.
L’antonomase se fait soit par métaphore, soit par synecdoque.
C’est un vrai don Juan! (un séducteur), la Ville Lumière (Paris), la Vierge (la mère de Jésus-Christ) et camembert (fromage qui porte le nom du village d’où il tient son origine) sont des exemples d’antonomases.
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Vous pouvez consulter cet article pour en savoir plus :
Antonomase : figure de style jouant sur le sens des mots | BDL