La tournure qu’avait pris ou prise
Bonjour,
Une petite hésitation dans l’accord du participe passé du verbe prendre dans cet exemple : « …et vu la tournure qu’avait prise la première rencontre de ce père en devenir avec sa fille… »
Le « qu' » représentant le cod placé avant, j’avais envie d’accorder.
Mais si je dis « la tournure qu’on pris les événements », intuitivement je n’accorde pas.
Quelqu’un a-t-il une piste ?
Un grand merci
Bonjour,
Avec l’expression avoir pris la tournure, vous semblez hésiter sur l’accord du participe passé quand le cod tournure est placé avant le verbe.
Je ne vois pas de raison de faire une exception :
« La citadelle qu’ont prise les assaillants.«
« La tournure qu’ont prise les évènements.«
C’est vrai qu’on entend rarement la marque du féminin quand cette expression est dite. Je pense que c’est une erreur, peut-être influencée par l’assourdissement du son [z] quand on dit « La tournure qu’ont prise ces évènements.«
Bonjour,
C’est vrai que « la tournure qu’ont prise les évènements » sonne très mal à l’oreille… Pourtant, elle est correcte, c’est bien « qu' » (la tournure), qui est le cod placé avant le verbe, et on doit accorder. Ce n’est pas la tournure qui prend des évènements, ce sont les évènements qui prennent la tournure. On le comprend mieux dans « la tournure prise par les évènements ».
« …et vu la tournure qu’avait prise la première rencontre de ce père en devenir avec sa fille… » : on accorde avec « qu' » (la tournure).
Tout comme on accorderait » « …et vu la tournure qu’avaient prise les premiers rendez-vous de ce père en devenir avec sa fille… ».
Je pense que, peut-être, c’est le masculin pluriel derrière ce participe passé accordé au féminin singulier, qui sonne mal à l’oreille, et donne envie de tourner la phrase autrement. Dans votre phrase, sujet et cod sont féminin singulier, ça « passe » beaucoup mieux !
La proposition de base :
— cette rencontre prend une tournure bizarre
Si on peut poser la question :
— que prend cette rencontre ? — elle prend une tournure bizarre
Si on peut pronominaliser :
— une tournure bizarre ? oui, cette rencontre la prend
Si on peut mettre à la voix passive :
— une tournure bizarre est prise par cette rencontre
Alors nous avons bien deux actants, un sujet, cette rencontre, et un objet, une tournure bizarre, et l’accord du participe passé peut se faire avec ce COD antéposé :
— la tournure bizarre qu’a prise cette rencontre
Mais si le complément vous semble plutôt être une caractéristique, une circonstance, un état, un degré, une modification du sens du verbe, si vous limitez la qualification de complément d’objet aux seuls compléments d’objets, sans étendre le sens de cette notion indifféremment à tout ce qui suit un verbe, alors vous n’avez aucune raison d’accorder avec un pseudo-COD : — les deux heures que son père a mis à venir, les deux mètres que l’arbre a jadis mesuré, c’est bien la brasse qu’il a nagé, l’importance que l’opération avait pris, la bonne odeur qu’a senti la maison après le nettoyage, la tournure qu’avait pris cette rencontre…
Ah, pas mal !
Mais ça complique encore plus les choses, « la tournure bizarre qu’ont prise les récents évènements », ou « la tournure bizarre qu’ont prise ces tête-à-tête » ne sonnent pas très bien non plus, et pourtant, d’après vos explications, ce sont des tournures correctes ?
Je ne suis pas responsable du vote négatif, que j’ai annulé par un vote positif, puisque j’ai trouvé la démonstration tout à fait digne d’intérêt.
Je ne comprends pas pourquoi après des considérations pertinentes, l’exposé de Cparlotte se termine sur la reprise de l’exemple de la question sans plus d’argument. Qu’est-ce qui pourrait faire interpréter « la tournure » autrement que comme cod ? Les cas des compléments de mesure, des verbes nager et sentir, sont bien connus mais prendre une tournure, comme on prendrait un virage, ne me semble pas si mystérieux. Je ne conteste pas a priori mais j’aimerais bien savoir.
La question de l’oreille est par ailleurs très subjective. Si l’on dit « les erreurs commises par les élèves » ou « les erreurs que les élèves ont commises« , cela me semble fluide. Mais si l’on inverse le verbe et le sujet « les erreurs qu’ont commises les élèves« , j’ai l’impression de mal entendre… et pourtant, c’est juste !
Oui vous avez raison pour la subjectivité de l’oreille, je me suis égarée, le fait que ça « sonne bizarre » n’a rien à voir avec la justesse des accords.
Concernant la démonstration de CParlotte, voici comment je la comprends (avec mes mots trop simples, mais tant pis) :
– Si on retourne la phrase que vous donnez en exemple, « les erreurs qu’ont commises les élèves », cela donnera « les élèves ont commis des erreurs » : c’est tout à fait juste, il ne manque rien, les erreurs sont tout à fait suffisantes pour être considérés comme COD, nul besoin de les qualifier ou de compléter la phrase pour la comprendre.
– Maintenant si on retourne « la tournure qu’avait pris cette rencontre », cela donnera « cette rencontre avait pris une tournure », et effectivement ça ne veut rien dire, on a besoin de qualifier la tournure prise pour que la phrase ait un sens. Je pense que c’est ce que CParlotte appelle un « pseudo COD ».
– « La tournure explosive qu’avait prise cette rencontre » donnera « cette rencontre avait pris une tournure explosive », et donc ok pour l’accord.
Je ne sais pas si cette règle est juste, mais je la trouve cohérente.
Le déterminant s’ajoute seulement dans le cas où l’on souhaite qualifier tournure.
Il est parfaitement correct d’écrire : « La musique se fait plus forte, les sourires plus larges ; la soirée prend tournure. »
Il me semble que sans déterminant, et sans qualificatif, la « tournure » est forcément favorable, positive. « La rencontre prend tournure » sous-entend « bonne tournure » (sinon on dira « la rencontre prend mauvaise tournure »). Si on retourne « la tournure qu’avait pris(e) cette rencontre » en « cette rencontre avait pris tournure », le sens n’est pas nécessairement le même.
Je ne suis pas sûre, j’avoue que ça me dépasse ! Accordons quoi qu’il arrive, finalement c’est plus simple :-).
Comme CParlotte, je suis assez d’avis que l’accord n’est pas réellement justifié,même s’il est hélas obligatoire dans le cadre académique.
C’est en effet un pseudo-COD, comme souvent avec « prendre ».
La locution se passe même de déterminant :
« L’affaire prend tournure ».
On connait le même cas avec « prendre forme ».
Certes, tournure n’est pas un cod dans « L’affaire prend tournure », mais l’expression n’a pas le même sens que les exemples préalablement cités. Elle veut simplement dire que » l’affaire acquiert une certaine consistance, une certaine cohérence. »
Dans « La tournure qu’ont prise les événements« , la qualification de la tournure est implicite, révélée en amont ou en aval par le contexte. Si, pour prendre un autre exemple, vous dites « La signification qu’a acquise votre déclaration.« , vous ne pouvez pas retourner la phrase avec le même déterminant : « *Votre déclaration a acquis la signification. » n’est pas correct ; pour le moins vous pouvez dire « Votre déclaration a acquis cette/une certaine/telle signification.« , l’explication se trouvant ailleurs dans le texte. Le statut de cod de signification ne me semble pas contestable ; en revanche le déterminant la se charge à mon avis d’une valeur démonstrative lorsqu’on inverse la phrase.
Un énorme merci pour toutes vos réponses et développements.
Je vais les découvrir tranquillement, mais ça me parait très riche.
Merci à vous, Jean-Michel