La mer scintillante se couvre de rougeoiements ou de rougeoiement ?
Bonjour. Me préparant activement en vue d’ un concours d’orthographe (encore que je ne me fasse pas trop d’illusions sur mes chances de titiller les habituels ténors du genre), je souhaiterais disposer de votre point de vue sur un point bien précis de notre merveilleuse mais parfois fallacieuse langue française.
Dans la phrase : « Au loin, le crépuscule enflamme doucement l’horizon et la mer scintillante se couvre de rougeoiements. », comment accorderiez-vous le groupe nominal rougeoiement ?
Le corrigé de la dictée (encore une) utilise le pluriel mais j’aurais pensé que, tout comme la mer se couvre de brume, la mer se couvre de rougeoiement. Il n’y a qu’un rougeoiement à la surface de la mer et non plusieurs et d’après ce raisonnement, j’aurais accordé rougeoiement au singulier. Quel est votre avis ?
D’une manière générale, j’ai vraiment du mal avec les accords des compléments du nom (une confiture de prunes ou de prune ? un battement de main ou de mains ?) ou de tout nom précédé d’un mot de liaison (article partitif de par exemple ou préposition) qui ne permet pas de déterminer si ledit nom est au pluriel ou au singulier. Et la note devient plus salée encore si le nom litigieux est adjoint à une épithète trouble-fête.
Ex : l’eau engendre tant de beauté ou de beautés ?
Je me suis trompé tellement de fois. Je sais que tout est question de sens et de réflexion mais n’auriez-vous pas une règle à me donner voire une formule magique pour maîtriser ce qui, pour moi, constitue une difficulté majeure du français ?
En vous remerciant d’avance pour vos réponses.
Maximus.
Vous fréquentez régulièrement ce blogue, et avez déjà dû constater le nombre important de réponses faisant place au contexte : la langue n’est pas une science exacte, et courir après sa codification complète est non seulement chimérique mais aussi – excusez-moi – totalitaire. Veut-on vraiment réduire le nombre infini de combinaisons, d’alliances ou de subtiles variations qui rendent le français si fin et plein d’esprit ?
Par expérience, je soutiens que les concours d’orthographe – hors épreuves professionnelles – sont des sources permanentes de frustrations, de conflits et de malentendus. Sauf cas rares, ce n’est pas la meilleure manière d’employer la langue, et les beaux esprits devraient se pencher sur des exercices autrement riches. On dirait que les qualités d’expression, les distinguos entre synonymes, la typographie, l’étymologie, la prosodie sont devenus secondaires voire inexistants devant l’impérialisme d’accords douteux ou le genre de mots rares…
Il est fréquent de lire des inepties dans un français superficiellement impeccable, et d’un autre côté, certains de nos grands écrivains en prenaient bien à leur aise avec les dogmes des grammairiens. Qu’en déduisez-vous ?
Concernant l’exemple précis que vous soumettez : « Au loin, le crépuscule enflamme doucement l’horizon et la mer scintillante se couvre de rougeoiements. »
On ne peut mettre sur un même plan LA brume (phénomène homogène unique) et LES rougeoiements qui se manifestent en nombreuses taches colorées à la surface de l’eau ondoyante (regardez un coucher de soleil, à la manière d’un Turner). Dans ce cas précis, pour moi, il n’y a pas photo sur l’accord, même s’il y a un beau cliché à faire du spectacle en question…
Merci des compliments !
Le sujet est riche, mais je maintiens que même si les dictées ne sont pas dénuées d’intérêt, leur aspect invasif occulte tous les autres moyens originaux de travailler la langue…
Bon travail pour votre préparation.
Admirable et impeccable réponse, Chambaron.
Les dictées de concours sont, en effet, souvent sources d’hésitations et d’ambiguïtés. Par exemple, certains écriront « des gardes-chasse », d’autres « des garde-chasse » (Académie française). Que choisir « pour faire plaisir au correcteur » ? « Une pièce attenant à son cabinet » ? « Une chambre attenante à la mienne » ? Comment fait-on ?
Somme toute, cela n’a pas grande importance. En tout cas, il est vrai que « l’orthographe n’est pas une science exacte ».
Il ne faut pas non plus, comme vous le dites d’excellente manière, réduire la langue à un exercice formel et sans âme.
En fait, il est nécessaire de maîtriser l’orthographe (quand même), mais aussi de soigner son expression tout en éveillant l’intérêt par ce que l’on écrit.
Je pense alors aux « Dictées de Pivot », particulièrement à celles rédigées par lui-même, pleines d’élucubrations et de mots tordus et obscurs (Pivot était spécialiste des noms de fleurs complexes et rares) qui, au fond, n’apportaient pas grand chose.
Cependant, quand il abordait les accords à connaître, ses dictées étaient plus profitables.
En revanche, les dictées rédigées par sa partenaire, Micheline Sommant, docteur en linguistique, tout en étant d’un niveau très élevé, étaient plus sobres, plus « normales », sans pièges « malveillants ».
Le magazine « Timbrés de l’orthographe » organise, lui, un concours annuel très intéressant qui allie dictée et questions diverses sur la langue française, la grammaire, l’étymologie, la syntaxe, etc., et qui va, Chambaron, dans le sens de vos souhaits.
Les Timbrés sont effectivement une des rares épreuves qui se démarquent de l’omnipotence de la dictée. Mais il reste une place pour une forme radicalement nouvelle de compétition…
Je suis heureux de voir que mon approche est partagée. Nous devons en tenir compte en formulant nos réponses : priorité au génie de la langue sur les exégèses parfois stériles ou les positions indécises !
Vous avez effectivement raison : Nous devons en tenir compte en formulant nos réponses.
Je m’y emploierai.
On pourrait utiliser » … se couvre de brumeS » si la brume est hétérogène. Par exemple par temps brumeux et venteux la densité de la brume varie. Je rejoints la proposition « rougeoimentS » car le rouge du crépuscule est dégradé, non uniforme.