Jean-Paul Sartre, L’Âge de raison
Bonjour,
Je cite Sartre à nouveau : « Je ne peux pas supporter l’idée qu’il me croit morte ». Spontanément, j’aurais mis le verbe croire au subjonctif. Les deux modes sont-ils acceptables, et y-a-t’il une différence dans le sens selon l’emploi de l’un ou de l’autre ? Merci d’avance de vos retour, Karine
Je suis du même avis que vous, le subjonctif s’impose.
Vous ne diriez pas « je ne peux pas supporter l’idée qu’il me dit morte », n’est-ce pas ?
D’ailleurs, cela m’étonne beaucoup de Sartre… Avez-vous vérifié dans le texte original ?
Je ne peux pas supporter que ce vote « soit » négatif.
Je corrige donc et ajoute être de votre avis. Le subjonctif s’impose.
Ah merci Ouatitm, je reconnais bien là votre grand cœur, et ça me fait du bien que vous soyez de mon avis !
Les deux sont possibles.
– avec l’indicatif le fait est posé comme une réalité : il la croit morte. Le premier fait vient dire la réaction face à cette réalité.
– avec le subjonctif le fait de croire pourrait être hypothétique.
Merci pour toute ces réponses.
Je supporte l’idée qu’il est possible de mettre de l’indicatif après cet éclairage des plus convaincant.
Amicalement,
Karine
On peut choisir un mode selon la signification du mot « idée » :
a) la certitude qu’il me croit morte et qu’il est triste
b) l’éventualité qu’il me croie morte et qu’il soit triste
Le verbe « ne pas supporter » peut avoir deux sens qui y sont associés :
a) souffrir à cette idée
b) craindre, refuser cette idée
Il y a donc deux interprétations distinctes :
a) Je souffre de cette certitude :
— Il croit que je suis morte. Il en souffre. Et moi je souffre de savoir qu’il souffre. Je sais qu’il croit que je suis morte et je se souffre à cette idée. Je souffre de savoir qu’il me croit morte. Je souffre à l’idée qu’il me croit morte. Je ne supporte pas l’idée qu’il me croit morte.
b) Je crains cette éventualité :
— Sans nouvelles de moi, il risque de croire que je suis morte et d’en souffrir. Je ne veux pas qu’il me croie morte. Je n’accepte pas qu’il me croie morte. Je ne supporte pas l’idée qu’il me croie morte.
Si vous étiez l’auteur, nous devrions vous interroger pour connaître le contexte et votre intention afin de vous conseiller d’utiliser l’indicatif ou le subjonctif. Mais le lecteur doit avoir la démarche inverse, et déduire l’intention à partir de la syntaxe. Puisque Sartre utilise l’indicatif, c’est qu’il se situe dans le cas (a). Vous n’avez pas à lui faire dire autre chose que ce qu’il dit. Peut-être que vous préférez le mode de l’éventualité après « je ne supporte pas », ou le mode du concept après « l’idée que », mais il faut accepter que Sartre utilise ici l’indicatif, et en comprendre deux choses : d’une part, quelqu’un croit effectivement que je suis morte ; d’autre part, je ne refuse pas cette idée mais j’en souffre simplement.