Je les ai (vus/vu/vue/vues) partir comme trois hirondelles.
Bonjour. Accord ou pas d’accord ? À quoi pensait donc Victor Hugo quand il a écrit cette phrase ? Bonne journée
https://www.poesie-francaise.fr/victor-hugo/poeme-a-un-voyageur.php
Le pronom personnel accusatif « les » représente ici « ma mère, mon fils, et mon père », et est donc masculin pluriel.
Le verbe « partir » est mis pour « mourir », évoquant trois âmes qui s’envolent.
La phrase sans pronom serait « j’ai vu ces gens partir » ou plus probablement « j’ai vu partir ces gens ». La personne qui parle dans le dialogue était effectivement présente lors de ces trois morts.
Le COD du verbe « voir » est la proposition infinitive « ces gens partir », ou « partir ces gens ».
La proposition infinitive est de genre neutre, et donc en tant que COD ne devrait jamais influer sur l’accord d’un participe passé.
Quand on remplace « ces gens » par le pronom « les », ce pronom passe devant le verbe « voir », et le COD se retrouve donc de part et d’autre du verbe voir : « je les ai vu(?) partir ».
Les adeptes de l’accord du participe passé avec le COD antéposé se retrouvent alors tout déboussolés, au bord de la crise de nerfs. Parmi les deux morceaux de COD (l’agent devant et l’infinitif derrière), lequel est le vrai, et lequel commande l’accord ? l’agent de l’infinitif ou l’infinitif lui-même ?
Vaugelas, qu’on présente pourtant comme un des initiateurs de l’accord du participe passé avec le COD antéposé (il n’utilisait évidemment pas ces mots) était clair sur ce point : il refusait ici l’accord, le COD n’étant en aucun cas le pronom, mais la proposition infinitive.
Cependant, peut-on considérer que le pronom est COD de « voir » ?
Quand le pronom représente l’agent de l’infinitif, on peut parfois raisonner de cette façon : j’ai vu une femme danser –> j’ai vu une femme qui dansait –> j’ai vu une femme, et elle dansait –> je l’ai vue, et elle dansait –> je l’ai vue danser.
Mais avec cette image de « partir » pour dire « mourir », veut-on vraiment dire « j’ai vu ma mère, et elle mourait » ? Évidemment non. Le gars, il n’a pas vu sa mère, et sa mère mourait. Le sens est tout autre : il a vu mourir quelqu’un, et ce quelqu’un était sa mère. Il a assisté à la mort de sa mère. Personne ne peut prétendre que le « COD naturel » est le pronom, l’agent de « mourir ». S’il fallait choisir un COD, ce serait l’infinitif, et pas le pronom. Il n’a pas vu sa mère, il a vu la mort de sa mère, il l’a vu mourir.
Si on pense que l’accord se fait avec le pronom antéposé quand la personne représentée fait l’action exprimée par l’infinitif, alors on peut se dire que l’accord selon ce pronom comme dans l’exemple « je l’ai vue danser » est arbitraire mais acceptable. En revanche, dans votre phrase, cet accord est bien sûr logiquement inacceptable : « je l’ai vue mourir » pour dire « j’ai vu sa mort ». Il est juste imposé par une norme actuellement majoritaire qui fait un contresens : être agent de l’infinitif et être la personne qui fait l’action exprimée par l’infinitif sont des notions qui ont été fusionnées à tort.
Si vous pensez que dans la chanson de Boris Vian, « j’ai vu mourir ma mère » n’est pas remplaçable par « j’ai vu ma mère mourir », alors on est d’accord, il ne faut logiquement pas accorder. Il ne faut accorder qu’aux examens (pour complaire aux correcteurs fonctionnaires), ou quand on s’adresse aux éditeurs conformistes, mais dans la vie réelle il n’existe aucune raison valable dans la phrase d’Hugo pour accorder avec un pronom puisque ce pronom n’est aucunement interprétable comme un COD, il n’est qu’agent de l’infinitif.
Bonsoir grand maître ,
Merci pour votre réponse exhaustive. Vraiment, je n’aurais jamais imaginé que l’on puisse autant écrire autour d’une phrase d’apparence très simple. En effet, pour moi, hors contexte, celle-ci signifiait simplement qu’une personne à vu trois personnes partir comme des hirondelles… au second degré quoi ! La différence entre un novice et un grand maître sans doute. Voilà que ça démontre une nouvelle fois la « simplicité » de notre langue française avec un grand f. Pour tout vous dire, je parcourais quelque article. Et, j’ai souhaité connaître l’opinion des Voltériens là-dessus. La phrase reprise en objet provient de cet article. Voici le lien : https://www.grevisse.fr/enigme/doit-ecrire-ces-violonistes-que-j-ai-entendu-entendus-jouer . Toutefois, je m’attendais à une discussion philosophique autour du fameux accord du participe passé avec avoir suivi d’un infinitif. Mais, finalement, je suis impressionné par la rigueur de la réponse qui au final m’interpelle sur mes propres connaissances au sujet du participe passé et de l’analyse d’une phrase. Ce qui est certain, c’est que votre pavé m’a en tout cas permis dans savoir plus sur l’origine de cette phrase de V.Hugo. Je n’ai pas lu sa bible, car, il s’agit souvent de documents fort volumineux et vraiment trop descriptifs à mon goût (je préfère Maupassant voire Camus ou plus simplement dans un autre registre Frédéric Lenoir pour ne citer que trois auteurs.), je n’aurais pas su savoir cela à l’avance. Merci. Excellente soirée.
Merci pour cette belle réaction CParlott. Mais alors, comment s’y retrouver dans cette folle langue. N’en déplaise à Voltaire, on y perd ses chattons ! Enfin, il reste le Bon Usage, l’Académie française et le CCDMD pour faire une tentative afin de démêler la pelotte de laine. Sérieusement, l’un dit A l’autre dit Z . Ne serions-nous pas dans une espèce d’histoire politicarde à la Molière. Je me rends même compte à présent que certains auteur(es)s bafouent les lois édictées par les hautes instances pour établir leurs propres normes. Alors ne parlons pas des médias qui disposent d’une créativité spéciale. Enfin, moi qui pensait que le Grevisse était une référence en la matière tout comme le Bescherelle et consorts d’ailleurs. Au plaisir de vous lire. Moi, je m’en vais manger un chapitre du « à un voyageur » afin de voir par moi-même ce qu’il en retourne exactement. C’est sacrebleu incompréhensible tout ce bazar ! Voilà la drôle de morale : à vouloir comprendre une phrase ont se retrouve finalement à lire tout le bouquin (je parle bien sûr du livre pas du vieux bouc ni du lièvre). Finalement ces moi le drôle dans cette histoire désopilante et fantasque. Enfin, il y tout de même du bon dans cette histoire : vérifier et croiser les sources. Belle soirée.
Bonsoir à nouveau Nosferatus,
Mon commentaire, qui devrait se trouver ci-dessus, a déjà été supprimé par joelle.
C’était un commentaire où je parlais de Victor Hugo et où je disais aussi que la maison d’édition Grevisse (le nom a juste été acheté, ce n’est qu’une marque) publiait des choses variées en les faisant signer par des grammairiens retraités et des enseignants de qualification moyenne, tout simplement et légalement en les payant.
Pour ce qui est de Jean-Christophe Pellat, dont le nom est utilisé ici évidemment contre son gré, et qui n’a certainement pas pu écrire l’article que vous avez mis en lien, on va chercher qui a collé son nom au bas d’un article, et qui sur notre site souhaite qu’on ne le sache pas.
J’ai bien lu l’autre message. Rien de perdu donc .Merci et bonne journée.
¨¨Je les ai vus OU vues partir, selon…
Peut-être à la noyade de sa fille…
Cette construction avec les verbes de perception est complexe et les analyses grammaticales qui en sont proposées ne font pas l’unanimité*. Cependant, si on décide de suivre la règle évoquée par CParlotte, alors il faut accorder ici le participe, puisque – pour reprendre l’exemple donné par CParlotte – c’est bien la mère qui meurt (qui est le « sujet » du verbe mourir, même si elle n’est effectivement pas l’agent de sa mort, sauf si elle s’est suicidée). Donc avec la phrase d’Hugo : Je les ai vus partir comme trois hirondelles.
Qui part (meurt) ? La mère, l’enfant, le père d’Hugo > ce sont bien le « sujet » du verbe partir / mourir >>> accord du participe.
À comparer avec un cas où le groupe nominal qui suit le verbe de perception n’est pas le « sujet » de l’infinitif, mais son objet :
Les fleurs, je les ai vu cueillir par brassées.
Qui cueille ? Les fleurs ? Non > ce ne sont pas le sujet de cueillir >>> non accord du participe.
* Voici par exemple un auteur qui défend le non accord :
Deuxièmement, d’un point de vue strictement orthographique, nous pensons qu’il convient de s’interroger sur l’accord du participe passé du verbe de perception avec SN2, mais uniquement quand ce dernier est considéré comme le sujet interprétatif de l’infinitif. En effet, si nous admettons que SN2 occupe accidentellement la fonction de complément d’objet direct de V et que le véritable actant complétif est la séquence SN2 Vinf complète, il nous paraît opportun de proposer de ne plus accorder le participe passé, puisque le véritable objet de V l’encadre de manière discontinue : [51] La petite découvrit à cette occasion, que quand on voulait rencontrer quelqu’un, on l’invitait à dîner. Cela lui parut inquiétant et absurde : connaissait-on mieux les gens quand on les avait vu(s) manger ?
Bonsoir. Merci pour votre prompte réponse . Sérieusement, est-elle seulement réelle cette histoire. Vous savez je ne suis pas un docteur ès lettres. La majorité des gens non plus. Il n’y a donc plus aucun espoir de maîtriser ce diable de participe passé ? Est-il réservé aux surdoués et autres avocats de la langue française ? Belle soirée.