Il eût été dommage que quelqu’un soit passé avant et l’ait acheté.
Bonjour,
en me relisant, je me demande si les trois verbes concordent ! Il s’agit d’un texte au passé (narration). Voici un contexte imaginaire pour donner le temps du récit :
« Le pull était toujours là, dans la vitrine. Isabelle soupira. Il eût été dommage que quelqu’un soit (ou fût ?) passé avant et l’ait (ou eût ?) acheté. »
merci !
Avec un conditionnel présent, votre phrase est :
— Il serait dommage que quelqu’un soit passé avant.
Avec un simple conditionnel passé, il est facile de ne pas appliquer de concordance des temps ; puisque c’est la langue courante, l’absence de concordance est relativement discrète, et bien tolérée.
— Il aurait été dommage que quelqu’un soit passé avant.
Mais comme vous avez choisi un subjonctif plus-que-parfait à la place du conditionnel passé (ce qui est tout à fait valide mais un peu littéraire), je ne pense pas que vous ayez d’autre choix que de terminer la phrase avec une belle concordance des temps.
— Il eût été dommage que quelqu’un fût passé avant.
Ah, bien compris. Mais est-ce que j’ai le droit d’écrire :
« Le pull était toujours là, dans la vitrine. Isabelle soupira. Il aurait été dommage que quelqu’un soit passé avant et l’ait acheté. » ?
Est-ce que personne ne grincera des dents ?
merci
J’avais bien vu votre passé simple, et je l’ai passé sous silence pour ne parler que d’une phrase isolée. Ici on fait tous comme ça, quand une question est difficile, on répond à une autre. Mais c’est vrai que c’est assez malhonnête.
Oui, vous pouvez écrire sans concordance des temps au subjonctif. C’est presque la norme. Cette pratique existe depuis plusieurs siècles. Je pense que vous auriez raison de ne pas appliquer la concordance des temps dans votre récit. Avec de l’imparfait, du conditionnel passé, on n’applique presque jamais la concordance des temps au subjonctif. Il était dommage que Paul soit déjà passé. Il aurait été dommage que Paul soit déjà passé.
Mais avec du passé simple ? Le passé simple intervenant dans un récit au présent mérite la concordance des temps. Je pense qu’il faut assumer qu’on parle une langue bizarre, et pousser la bizarrerie jusqu’au bout, donc faire concorder les temps. Aujourd’hui, il insiste pour que nous soyons absents, mais ce jour-là, il insista pour que nous fussions présents. La porte est maintenant fermée, je sais qu’il arriva pourtant que le magasin fût ouvert à midi. C’est un style non nécessaire (le passé composé serait plus évident), mais si on s’embarque dans le passé simple, ça vaut le coup de continuer au subjonctif imparfait. On montre ainsi le parallèle entre les propositions au présent et les propositions au passé. Il y a une raison sémantique à la concordance des temps.
Mais dans un récit globalement au passé simple, ce passé simple n’est pas un effet de style, il est simplement le temps classique du récit écrit. Ce n’est d’ailleurs pas forcément du passé par rapport au présent, avec une histoire bien datée. C’est comme du présent raconté au passé, on vit l’histoire de la même façon que si elle était racontée au présent. Je parle ; elle soupire ; elle veut que je me taise. Je parlais ; elle soupira ; elle voulait que je me taise. Le subjonctif imparfait (elle voulait que je me tusse) n’apporte rien en terme de sens, et perturbe inutilement des phrases simples. Même quand le verbe qui commande le subjonctif est au passé simple (et non un verbe de la phrase précédente), le subjonctif imparfait ou plus-que-parfait n’apporte rien. Elle insista pour que je me taise. Elle regretta que je ne me sois pas tu.
Autre critère : la phrase « il aurait été particulièrement ennuyeux qu’un acheteur concurrent se fût présenté auparavant » est construite correctement. Mais votre vocabulaire est tellement simple (c’est dommage, quelqu’un, passer, avant), que je pense préférable d’éviter un décalage entre le registre du vocabulaire et le registre de la syntaxe ; il en va de l’image que l’auteur ou le narrateur donne de lui-même, et c’est une bonne raison pour privilégier le subjonctif présent, pour que le récit reste crédible. L’effet comique de « j’en avais trop marre qu’il fût si borné » ne tient pas la route sur un récit entier. Et si votre lecteur ne veut pas de subjonctif imparfait ou plus-que-parfait, ne lui en donnez pas, ce serait la meilleure façon de perdre votre crédibilité, de rompre le lien entre auteur et lecteur.
Donc, dans un récit non historique, conçu pour qu’on le lise comme au présent, avec un passé simple qui ne se positionne pas particulièrement comme antérieur au présent de l’auteur mais est juste le temps conventionnel du récit, je trouve préférable de ne pas utiliser de concordance des temps artificielle au subjonctif.
Pour les puristes, la concordance des temps avec le subjonctif au plus-que-parfait :
Le pull était toujours là, dans la vitrine. Isabelle soupira. Il eût été dommage que quelqu’un fût passé avant et l’eût acheté.
C’est parfait !
Oui Myrtille, votre phrase « Le pull était toujours là, dans la vitrine. Isabelle soupira. Il aurait été dommage que quelqu’un soit passé avant et l’ait acheté » est parfaitement correcte, et elle est même ma première suggestion !
Merci pour vos réponses concordantes et instructives ! je comprends enfin la concordance pratique (et non scolaire), en rapport avec le style et le siècle !!
Merci Joelle ! et à la narration d’un roman, le style puriste s’impose ? juste une question, j’aimerais savoir !
merci
Oui bien sûr ! d’autant que c’est le plus juste, toutefois, il faut que le reste de la rédaction soit aussi soutenue…
Bonsoir Myrtille,
Dans les romans populaires, il est rare de trouver l’imparfait ou le plus-que -parfait du subjonctif mais il y a de grands adeptes comme Hervé Le Corre notamment dans la littérature policière.
Bonne soirée
Merci pour vos réponses. C’est un roman populaire, mais du siècle dernier, à l’époque, ils n’avaient pas peur du passé simple ;-). Tout est au passé (« Il était une fois »), et quand il y a un conditionnel ou un subjonctif, je suppose qu’il doit être au passé aussi… Donc, en gros, ma question est : est-ce que le début du paragraphe :
« Le pull était toujours là, dans la vitrine. Isabelle soupira. »
peut admettre sans dissonance comme suite :
« Il aurait été dommage que quelqu’un soit passé avant et l’ait acheté. » ?
C’est ce que je n’ai pas cru possible…
Myrtille
« Le pull était toujours là, dans la vitrine. Isabelle soupira. Il aurait (eût ?) été dommage que quelqu’un soit (ou fût ?) passé avant et l’ait (ou eût ?) acheté. »