Curieux emploi du subjonctif après « si »
Je viens de croiser les citations suivantes, toutes issues d’écrivains reconnus :
— Comme si la Mère de Dieu résistait et qu’il fallût la vaincre à force de prières et d’objurgations ( Barrès, Colline insp., p. 95) ;
— Comme s’il était arrivé jusqu’au bord même d’un abîme et qu’il le trouvât à ses pieds (Jaloux, Le reste est silence, ix) ;
— Comme si vous bandiez un arc et que soudain vous ayez lâché sa corde (Butor, Modification, p. 223).
Comment expliquer l’emploi du subjonctif dans la seconde partie de chaque phrase, alors que l’indicatif pourrait sembler s’imposer à l’image de la première ?
Erreurs fréquemment commises en raison de la coordination, certains auteurs et non des moindres estiment judicieux de créer une rupture.
En réalité il y a rupture de relecture.
Le « que » les perturbe Et les emporte dans un autre mode, mais il faut votre oeil aiguisé pour le repérer.
Bonjour,
On emploie le subjonctif dans les subordonnées de condition et de supposition introduites par : à condition que, pourvu que, à supposer que, en admettant que soit que, que…ou que, à moins que …
Soit qu’on fasse bien ou soit qu’on fasse mal , on est toujours payé de même sorte ( Molière).
Nous distinguerons, pourvu que notre regard puisse percer un horizon de trois cents lieues, une ligne onduleuse.
Il en est de même après que remplaçant si ou comme si.
Si j’avais suivi ma première vocation et que je n‘eusse ni lu ni écrit j’en aurais sans doute été plus heureux ( J.-J. Rousseau)
Cet usage est souvent violé par certains écrivains contemporains:
Alors, disait Adrien, si quelque part un enfant est malade et qu‘il faut un médecin…(Aragon)
Le poète empocha l’enveloppe comme s’il s’y était depuis longtemps accoutumé et qu‘elle lui était due( Blaise Cendrars).
Bonjour Chambaron,
Ces justifications vous suffisent-elles ?
Les circonstancielles exprimant l’hypothèse
Quelle que soit la forme dans laquelle s’exprime l’hypothèse, le fait qu’elle présente n’est par définition pas intégré au monde de ce qui est pour I’énonciateur. II serait donc logique que le verbe de la subordonnée circonstancielle d’hypothèse se conjugue au subjonctif.
On sait cependant qu’après la conjonction si, c’est l’indicatif qui apparaît régulièrement. Le mode subjonctif se rencontre cependant aussi dans la propo-
sition circonstancielle d’hypothèse. Ce mode apparaît en effet après tous les autres outils, qui intègrent d’ailleurs le mot que dans leur formation :
à moins que, pour peu que, à supposer que, à la condition que, pourvu que,
ex. : Je ne dirai rien, à moins qu’on ne le demande.
que seul (ou soit que … soit que) pour marquer l’alternative :
ex. : Qu’il fasse beau, Qu’il fasse laid, c’est mon habitude d’aller sur les cinq heures du soir me promener au Palais-Royal. (D. Diderot)
On observera encore que, dans le cas de coordination de deux circonstancielles d’hypothèse, dont la première est introduite par si et la seconde par la conjonction de relais que, appelée alors ─ vicariante ─ , le subjonctif, exclu après si, réapparaît régulièrement dans la seconde proposition :
ex. : Si tu viens et qu’il fasse beau, nous irons nous promener.
REMARQUE 1 : On rappellera qu’en parataxe*, la subordonnée circonstancielle d’hypothèse impose encore l’emploi du mode subjonctif :
ex. : Qu’une gelée survienne, et tous les bourgeons sont brûlés.
REMARQUE 2: Après la conjonction de subordination si, le subjonctif est cependant possible dans un seul cas ; il s’agit du système à l’irréel du passé, c’est-à-dire au plus-que-parfait du subjonctif.
ex. : S’il l’eût voulu, il m’eût comprise.
On observera cependant que cet emploi est rare, et réservé à la langue littéraire et/ou archaïsante.
Extrait : Grammaire du français
par:
Delfine Denis Maître de conférences à l’Université de Paris-Sorbonne
et
Anne Sancier-Chateau Professeur à l’Université de Lyon-III
Le Livre de Poche ─ ISBN 978-2-253-16005-2
* Procédé syntaxique consistant à juxtaposer des phrases sans expliciter par un mot subordonnant ou coordonnant le rapport de dépendance qui existe entre elles (par opposition à l’hypotaxe).
ex:
Au lieu de
Cet homme est habile aussi réussira-t-il
on a en parataxe
Cet homme est habile , il réussira.
Dictionnaire de linguistique Larousse
Merci de vos contributions, qui ne résolvent pas entièrement pour autant le mystère.
— Joëlle : à une telle fréquence, on ne peut taxer ces auteurs de s’être égarés ;
— Czardas : « Il en est de même après que remplaçant si ou comme si. » Certes, mais l’indicatif pourrait aussi se concevoir, ce qui est d’ailleurs montré dans les exemples suivants.
Je reste un peu sur ma faim, mais cela fait partie du jeu. J’appelle cela « la part des anges », cette évaporation inexplicable mais subtile des règles, ou même de l’usage, dans laquelle se logent les effets de style.
Sincèrement bravo pour avoir « dégoté » cela.
On en déduit que c’est l’indicatif après « si » qui fait figure d’exception, toutes les autres formes intégrant « que » avec le subjonctif. Manque dans la liste le peu courant mais correct « si tant est que… », suivi lui aussi du subjonctif.
Et, en plus, on apprend le mot vicariant, de la famille de vicaire…
Il ne s’agit pas de vicarien mais de vicariant (adjectif)
Vicariant : Littéraire. Qui remplace quelque chose d’autre.
Oups ! Coquille de retranscription. Corrigé.
Anne Sancier- Chateau présente la réapparition du subjonctif dans la deuxième partie de la phrase mais nulle règle ne nous dit si c’est correct. Le subjonctif apparaît par la présence de la conjonction de relais « que » mais est-il correct d’écrire (comme je le pense toujours) :
– si tu viens et qu’il fait beau, nous irons nous promener ?
au lieu de
– si tu viens et qu’il fasse beau…
Bonjour Joelle
Voici un autre exemple:
que : lorsqu’il reprend un si hypothétique
Si j’ai de l’argent et que je veuille toujours vivre en Espagne, j’achèterai une maison là-bas.
On pourrait, bien sûr, avoir l’indicatif, mais le subjonctif n’est pas incorrect. Il est amené par le caractère hypothétique introduit par comme si.
On n’est pas très loin de ce que les latins appelaient une attraction modale.
L’emploi du subjonctif, plutôt rare, est littéraire. On rencontre aussi rarement, en littérature, le plus que parfait du subjonctif.