Conjugaison
Bonjour,
Dans un roman, je suis tombée plusieurs fois sur cette tournure :
« S’il y avait eu plus de monde et que la nourriture soit suffisante… »
Je ne comprends pas l’emploi du subjonctif pour le verbe être, que j’aurais conjugué de la même façon que l’autre verbe : « S’il y avait eu plus de monde et que la nourriture avait été suffisante… »
Auriez-vous une explication svp ? Existe-t-il une règle concernant l’emploi de « si », selon laquelle le 2e verbe doive être au subjonctif ?
Merci d’avance !
Mode après que remplaçant si.
Il n’y a pas de règle absolue, qui soit appliquée absolument, quoiqu’en dise Girodet, qui écrit : « Quand que remplace un second si, le verbe qui suit que se met au subjonctif : S’il fait beau demain et que je ne sois pas fatigué, je sortirai (= s’il fait beau demain et si je ne suis pas fatigué…). »
La grammaire normative prétend imposer l’emploi du subjonctif dans le cas qui nous occupe (S’il vient me voir et qu’il se plaigne, à côté de S’il vient me voir et s’il se plaint). Et certes cet emploi du subjonctif n’est pas rare en littérature (même chez Giono et Céline, très libres), « mais l’usage courant ne craint pas dans ce cas d’employer l’indicatif (prés., imp. ou p. c.) et celui-ci ne peut pas être considéré comme fautif. L’indicatif est loin d’être rare dans la littérature contemporaine, et plusieurs grammairiens l’autorisent ». (Cf. l’éminent grammairien Joseph Hanse). Et J. H. de citer d’excellents auteurs utilisant l’indicatif.
La meilleure grammaire française actuelle (le B.U., selon moi), montre aussi qu’il y a deux usages (subj. et ind.) et admet les deux.
Merci Prince pour cette recherche de citations et de commentaires qui confirme ce que je pensais. Indicatif ou subjonctif : ce choix est très fréquent dans notre langue et fait partie de sa richesse car il permet des nuances d’expressions parfois très fines à analyser, mais que le natif (lecteur ou un peu cultivé) saisit immédiatement.
Je trouve toujours dommage que le recours à des règles strictes vienne écraser ces subtilités de langage.
Le recours à des règles strictes vienne
Merci Joëlle. Corrigé.
Vous avez a priori mille fois raison. Quel est ce roman ?
Je complète ma réponse : dans certains cas, ellipse de « supposons que » la nourriture soit suffisante ? Est-ce que cela pourrait être cohérent ? Je ne l’envisage pas avec le plsu-que-parfait :
« s’il y avait eu plus de monde et de la nourriture en quantité suffisante.
Merci pour votre réponse si rapide !
Il s’agit de Hunger Games de Suzanne Collins (tome 2). J’ai modifié la phrase mais c’est bien cette tournure que j’ai rencontrée 3 fois.
Je pense malgré tout que c’est une règle de la syntaxe, lorsqu’on a un premier début de phrase hypothétique commençant par « si » (en style littéraire classique, naturellement) — « si j’avais été roi d’un pays magique » (exemple) — la suite complétée par une autre hypothèse intoduite par « que » se met au subjonctif (avec le sens de, pour faire simple, « en supposant que » ) — ainsi dans l’exemple, « si j’avais été roi d’un pays magique, et que j’eusse eu le don de changer le plomb en or, etc etc » — il me semble qu’on rencontre ça souvent chez Gautier, Nerval — peut-être moins de nos jours, mais ce tour ne semble pas fautif. A vérifier pour ne pas punir la traductrice.
Pour compléter ce qui précède: Pellat Rioult Riegel donnent dans leur grammaire (PUF) un exemple encore plus simple: « S’il vient et que nous ne soyons pas là, dites-lui où il pourra nous trouver » — après un long développement sur le fait que ce qui est introduit par « si » n’est jamais asserté positivement, ou absolument décisivement, d’où leur mention: « un que reprenant un si se construit avec le subjonctif » — donc dire à l’intervenante ci-dessus qu’il ne faut pas modifier sa phrase, et que la traductrice a raison.
Il s’agit là d’une tournure littéraire mais parfaitement correcte et reconnue. Vous pouvez vous en assurer en consultant l’OQLF dans son article sur les modes à utiliser après si :
Lorsqu’on emploie les locutions si… et que pour éviter la répétition de deux si en tête de deux propositions coordonnées, que est généralement suivi du subjonctif, mais le mode indicatif est admis.
Merci Prince pour cette recherche de citations et de commentaires qui confirme ce que je pensais. Indicatif ou subjonctif : ce choix est très fréquent dans notre langue et fait partie de sa richesse car il permet des nuances d’expressions parfois très fines à analyser, mais que le natif (lecteur ou un peu cultivé) saisit immédiatement.
Je trouve toujours dommage que le recours à des règles strictes viennent écraser ces subtilités de langage.
On peut ajouter à l’exposé des exemples d’hypothèses exprimées avec le présent, pour les expliquer, justement, ( Claudel Léautaud etc) que les emplois cités donnent une vision positive et réalisable des conditons qui précèdent l’énoncé principal; ainsi, on pourra rapprocher de « si je sors et que je me sens faible, je rentre sans tarder » — dans ce cas la marge de choix possible, la nuance d’option est très réduite et les subordonnées se rapprochent de valeurs de cause, conséquence, en particulier avec l’usage exclusif du présentde l’indicatif. On peut disserter longuement sur l’exemple pris à Schlumberger, car « brusquement » fait naître l’idée qu’une autre façon de « déboucher » sur la route soit possible / ou est possible (ça, ça fait enrager les étudiants anglophones) — une phrase en apparence facile, mais qui donne à réfléchir. L’emploi pris chez Proust est itératif, dans ce cas c’est chaque fois que ce personnage vient, il fait comme ça, emploi facilement élucidé par tous. Félicitations pour ces exemples. « la grammaire et la langue sont un objet de recherche qui ne s’arrête jamais » disait un illustre maître, c’est toujours vrai, et c’est ce qui passionne ce terrain souvent réputé aride. Merci en tout cas pour la liste.