Concordance des temps phrase complexe (3 verbes)
Bonjour tout le monde !
Voilà la phrase coupable :
« Si tu ne me l’avais pas dit, je n’aurais jamais deviné qu’il est/était militaire. »
Intuitivement, je mettrais l’imparfait. Mais au niveau du sens, le gars il est bien militaire, actuellement. Ce n’est pas une supposition, ni un fait passé.
Je suis en galère pour trouver une information fiable. Je trouve des exemples de phrases à deux groupes verbaux, pas trois.
J’ai pensé simplifier en cherchant uniquement la concordance « je n’aurais jamais deviné qu’il est/était militaire » mais les exemples que je trouve avec une matrice au conditionnel passé ne correspondent pas à ma situation.
J’ai consulté l’article concordance des temps de ccdmd.qc.ca, qui est très complet, mais je ne trouve rien qui m’aide.
Alors me voilà qui appelle à l’aide 🙂
Merci d’avance à ceux qui voudront bien se pencher sur le problème 🙂
Le début de votre phrase est une proposition subordonnée circonstancielle. Sans doute permet-elle d’imposer le temps de la principale (comme « hier » impose le passé et « demain » le futur), mais rien d’autre. Le temps de la proposition subordonnée conjonctive complétive ne dépend que du temps de la principale et aucunement du temps d’une circonstancielle, dont on peut même facilement supprimer le verbe :
— Sans ton aide, je ne devinerais pas qu’il est militaire.
— Sans ton aide, je n’aurais pas deviné qu’il était militaire.
Si vous voulez bien admettre que « aurais deviné » est un temps du passé exprimant une action passée, alors pour exprimer une simultanéité avec l’action d’un verbe au passé dans la principale, utilisez l’imparfait dans la complétive. C’est certainement ce que vous avez lu dans vos livres de grammaire, et votre phrase ne fait pas exception à la règle.
Puisque le gars est militaire, vous dites au présent :
— Je comprends maintenant qu’il est militaire.
— Je sais qu’il est militaire.
Quand vous racontez une histoire très ancienne, vous dites :
— Je compris alors qu’il était militaire.
— Je savais qu’il était militaire.
J’espère que vous acceptez totalement ce principe de concordance de temps qui veut que le « présent dans le passé », la simultanéité, se traduit par un imparfait ?
Maintenant, vous nous dites que, selon vous, si la réalité exprimée dans la complétive est toujours une réalité actuelle, alors, malgré une principale au passé, il est logique de mettre la complétive au présent.
— Je compris alors qu’il est militaire.
— J’aurais compris alors qu’il est militaire.
Vous pensez apparemment que
— J’aurais compris qu’il était militaire, et d’ailleurs il est encore militaire
peut s’abréger en
— J’aurais compris qu’il est militaire.
C’est une opinion très courante, défendue par exemple systématiquement sur ce site par Tara : on peut s’affranchir de la relation syntaxique entre la proposition principale et la proposition subordonnée complétive, et décider que la complétive n’a pour référence que le présent du locuteur et non le temps du verbe dont elle dépend syntaxiquement. C’est une aberration pour n’importe quel grammairien, mais cette opinion est cependant de plus en plus fréquemment exprimée sans complexe. Encore dimanche dernier, Tara expliquait qu’on peut dire « j’avais cru que je vous verrai ». Alors évidemment, dans ce cas-là… mettez donc le présent, ou n’importe quel temps qui vous chante, arrachons nos corsets, vivons et conjuguons au présent. Dites comme vous voulez, mais alors renoncez totalement à la notion de « concordance des temps » dans une « proposition subordonnée conjonctive complétive ».
Bonjour Emma,
Je mettrais : Si tu ne me l’avais pas dit, je n’aurais jamais deviné qu’il est militaire. (Il l’est encore.)
Bonjour,
Ainsi que le rappelle très clairement le site du ccdmd de nombreux grammairiens soulignent la non automaticité de la concordance : il est des cas où il est possible de déroger à cette concordance quand le sémantisme l’autorise. Le cas canonique est celui de la vérité scientifique :
Je ne savais pas que la terre était* / est** ronde.
Ou encore :
Si tu ne me l’avais pas dit, je n’aurais jamais su / deviné que la terre était / est ronde.
Un autre cas pour lequel la non-concordance est possible, c’est quand le fait rapporté par la subordonnée est toujours d’actualité au moment de l’énonciation ; c’est le cas de la phrase objet de ce fil. Par conséquent les deux concordances (grammaticale et sémantique) sont possibles :
Si tu ne me l’avais pas dit, je n’aurais jamais deviné qu’il était / est militaire.
Boris Vian s’est autorisé la non-concordance grammaticale :
[…] sans le hasard que je vous ai expliqué, personne n’aurait jamais su qu‘il est blanc.
* concordance grammaticale
** non-concordance grammaticale ou concordance sémantique.
Phil propose une approche à la frontière de la grammaire et de la stylistique qui me pose quelques problèmes.
Cette question concerne la transposition du discours direct en discours indirect. Le passage du discours direct au discours indirect impose de suivre la règle de la concordance des temps. Mais, cela n’est pas toujours obligatoire.
La Riegel considère qu’on peut employer le présent lorsque celui-ci exprime une vérité générale ou une description.
Il a dit : « La Terre est ronde. »
= Présent de vérité générale.
Cet énoncé était, est et sera toujours vrai, on peut ne pas appliquer la règle de concordance.
Il a dit que la Terre est ronde.
Cet énoncé ne me pose aucun problème car il n’est source d’aucune ambiguïté.
On ne lira jamais. Il a dit : « La Terre était ronde. »
Il a dit : « Ton ami est militaire. »
= Présent de description.
Si l’ami est encore militaire maintenant, on peut ne pas appliquer la règle de concordance.
Il a dit que ton ami est militaire.
Le problème, c’est qu’en raisonnant ainsi, on risque d’opposer « est militaire » (= encore militaire) et « était militaire » (= n’est plus militaire).
Face à l’énoncé : Tu as dit à Emma que son ami était militaire.
Que vais-je comprendre ?
a) Si je maîtrise la règle de concordance.
= L’ami d’Emma est militaire = Tu as dit à Emma: « Ton ami est militaire. »
b) Si je ne maîtrise pas la règle de concordance et que j’ai pris l’habitude d’employer le présent au lieu de l’imparfait lorsque je passe du discours direct au discours indirect.
= Son ami n’est plus militaire. = Tu as dit à Emma: « Ton ami était militaire ».
Cela peut créer de gros problèmes d’interprétations.
(Ce n’est pas mon approche, c’est celle proposée par de nombreux grammairiens – Dauzat, Damourette, Grevisse, d’autres.)
Vous dites : « Le problème, c’est qu’en raisonnant ainsi, on risque d’opposer « est militaire » (= encore militaire) et « était militaire » (= n’est plus militaire). »
C’est marrant de présenter les choses de cette façon, puisque c’est précisément pour éviter l’ambiguïté créée par la stricte concordance grammaticale que les usagers s’en sont affranchis. Evidemment ça ne fonctionne que si la non-concordance est appliquée, a contrario, eh bien, soit il y a quiproquo, soit il y aura demande de désambiguïsation de la part de l’interlocuteur.