Concordance des temps
Bonjour à vous,
En cours de lecture de Rouge Brésil de Jean-Christophe Rufin (dans l’édition Folio de 2001), je lis la phrase suivante à la page 338 (partie III, chapitre 2) :
« […] Colombe n’eut aucun doute qu’il [Pay-Lo] eût appris d’elle [Paraguaçu] son surnom. »
Comment ce plus-que-parfait du subjonctif se justifie-t-il après l’expression de la certitude dans la proposition régissante ?
Cordialement,
Clag
Bonjour à vous,
Je vous remercie de vos réponses.
Si je vous entends bien, subjonctif ET conditionnel seraient les modes possibles après l’expression de la certitude dans la proposition régissante.
PhL, comment justifieriez-vous la valeur de ce conditionnel passé seconde forme, je vous prie ?
L’action d' »apprendre » n’est aucunement entachée d’incertitude dans le contexte romanesque, puisque le personnage de Pay-Lo a effectivement appris le prénom de Colombe par Paraguaçu avant de la rencontrer.
Je penchais pour l’expression de l’antériorité (relativement au passé simple de la proposition principale) grâce à un passé antérieur, mais son orthographe me contrarie – et contredit !
Cordialement,
Clag
Bonsoir à vous,
Vous avez raison, cela est curieux. Les réponses de PhL et de jean bordes ont disparu.
PhL proposait la réponse suivante, à savoir que le plus-que-parfait du subjonctif était d’un emploi plus littéraire que le conditionnel passé, qui pouvait être usité ici.
jean bordes argumentait que la présence de « qu’ » appelait le subjonctif.
D’où mes nouvelles questions.
Cordialement,
Clag
Pour tout vous dire, cette phrase me paraît bancale à cause de « aucun doute » (je n’ai aucun doute que ….ne me paraît pas correct)
Je n’ai aucun doute sur sa culpabilité.
Je ne doute pas de sa culpabilité.
Je doute qu’il soit coupable.
Je ne doute pas qu’il… Il y a quelques divergences chez les grammairiens.
Quand la principale comporte une négation, on a l’indicatif (ou le conditionnel), puisqu’il n’y a plus de doute. D’après Le Bon usage.
Oui, ‘avoir un doute que’ est très bizarre. Tout en comprenant que ‘il eut un doute’, ‘il n’eut aucun doute’ montre plus clairement la soudaineté que ‘il douta », je remplace dans la suite par ‘douter que’, en conservant le passé simple et la négation :
‘Colombe ne douta pas qu’il eût appris d’elle son surnom.’
Sur l’expression de la certitude.
Vous nous suggérez que ‘ne pas douter’ signifie ici ‘savoir’. C’est possible.
Mais vous savez aussi que les deux usages existent à la forme négative, l’un étant de construire parallèlement à l’affirmatif avec un subjonctif, l’autre étant de comprendre que ‘ne pas douter’ lève l’incertitude et commande l’indicatif.
‘Je doute qu’il vienne’ est une incertitude.
‘Non… Je ne doute pas qu’il vienne’ est une absence d’incertitude qui ne va pas obligatoirement jusqu’à la certitude du contraire.
‘Je ne doute pas qu’il viendra’ est une certitude qu’il viendra.
Les livres en parlent, et vont dans votre sens, avec cependant des exemples contradictoires.
A l’imparfait, je serais encore prêt à défendre la possibilité de l’utilisation du subjonctif : ‘Je ne doutais pas qu’il vînt’, avec un subjonctif, qui considère encore la négation du doute plus que la certitude que le doute n’est pas permis.
Au passé simple, j’admets que ‘ne pas douter que’ signifie obligatoirement ‘savoir que’. C’est l’irruption d’une certitude.
‘[Alors, entendant cela,] je ne doutai pas qu’il viendrait’. (c’est ici un conditionnel, mais juste pour une raison de concordance des temps).
Donc : ‘Colombe ne douta pas qu’il avait appris d’elle son surnom.’
Vous avez raison. L’auteur prèfère construire ‘ne pas douter que’ comme ‘douter que’ (et je fais pareil), mais pour la révélation soudaine d’une réalité, au passé simple, c’est probablement une erreur.
Mettons à différents temps pour revoir le parallèle (pour le présent, je remplace par ‘comprendre’).
Alors Colombe comprend qu’il a appris d’elle son surnom. (ou doute qu’il ait appris)
Alors Colombe comprit qu’il avait appris d’elle son surnom. (ou douta qu’il eût appris)
Alors Colombe ne douta pas qu’il avait appris d’elle son surnom. (ou douta qu’il eût appris)
Sur votre deuxième message.
* Ne cherchez rien autour du conditionnel. Si un conditionnel peut exister dans ce type de phrase, c’est juste pour une question de concordance des temps, pour rendre compte d’un futur dans le passé : ‘elle fut alors certaine qu’il viendrait’. Mais c’est l’équivalent d’un indicatif.
* Ne cherchez rien autour du passé antérieur. On l’utilise pour formaliser des successions chronologiques d’actions (quand il eut appris cela, il parla), pas pour marquer l’antériorité ancienne.
* Faut-il chercher une différence quand l’absence de doute ne concerne pas l’avenir mais le passé ? Sur le mode, non, juste sur le temps à utiliser. La question de l’antériorité, très importante ici, est simplement traitée par l’utilisation d’un temps composé : ‘Colombe ne douta pas qu’il eût appris’ plutôt que ‘Colombe ne douta pas qu’il apprît’ (comme ‘je crains qu’il ait appris’ plutôt que ‘je crains qu’il apprenne’). Mais c’est tout.
* C’est donc bien un subjonctif plus-que-parfait, probablement utilisé à tort à la place d’un indicatif plus-que-parfait.