Cod ou Coi
Bonjour,
J’ai du mal à analyser le constituant « à faire ses devoirs toute seule » dans la phrase:
Elle a réussi à faire ses devoirs toute seule.
Le « à » suivi du verbe faire me fait douter. Doit-on analyser ce constituant comme un Coi ou comme un Cod (avec « à » qui serait alors analysé comme un marqueur d’infinif ou comme un subordonnant comme j’ai lu parfois).
Merci pour vos réponses.
Bonjour,
On réussit (à) quelque chose ou à faire quelque chose : le sens du verbe implique un complément.
S’il n’y a aucun contexte qui me permet de savoir ce qui a été réussi, je ne peux pas dire Il a réussi, alors que je peux dire Il a dormi : réussir contrairement à dormir est transitif (= nécessite un complément pour pouvoir signifier quelque chose).
Parfois, même si le sens du verbe implique un complément, la présence de ce dernier n’est pas obligatoire. C’est le cas par exemple de manger : on mange forcément quelque chose, cependant, il est possible de ne pas exprimer le complément. Le verbe n’en reste pas moins transitif, mais il peut avoir des emplois absolus. Ce n’est pas le cas de réussir.
Pronominalisons cette phrase Elle a réussi à faire ses devoirs toute seule, ça donne :
Elle y a réussi.
On voit que réussir à (faire) quelque chose est pronominalisable non pas en le (le complément serait alors un COD et la préposition un marqueur d’infinitif), mais en y, le complément est donc un complément indirect de verbe, un COI.
Usito est un outil très intéressant pour savoir comment sont classifiés les verbes par la nouvelle grammaire, puisque ce dictionnaire intègre les données de la nouvelle grammaire tout en rappelant, quand il y a divergence, la position de la grammaire traditionnelle.
On constate que réussir à y est classé transitif indirect (une petite infobulle « GT » rappelle que ce verbe est classé intransitif par la grammaire traditionnelle).
3 V. tr. indir. réussir à (+ nom ou + inf.). Obtenir de bons résultats; parvenir à faire qqch.Réussir à un examen.Réussir à convaincre qqn.« Il était près de minuit et elle n’avait pas encore réussi à fermer l’œil » (A. Cousture, 1986).
LG56 a dit : Mais il faut expliquer un peu. Ils définissent les verbes intransitifs comme se suffisant à eux-mêmes sans complément, les autres étant transitifs.
Comme je ne veux pas faire d’emblée un cours théorique, consistant et possiblement indigeste sur ces notions, c’est ce que j’ai voulu faire passer avec mon premier paragraphe et notamment mon histoire de verbe qui nécessite un complément pour signifier quelque chose.
Aller dans le sens de se rendre quelque part est obligatoirement construit avec un complément, il est par conséquent transitif dans cet emploi, contrairement à somnoler, qui est obligatoirement intransitif.
LG56 a dit : j’y ai réussi ? pas sûr du tout.
Oui, sans doute la pronominalisation est-elle moins fréquente pour réussir à que pour ses synonymes parvenir à, arriver à (qui fonctionnent avec l’auxiliaire être et non avoir, ceci explique peut-être cela ; je le note, mais n’ai pas réfléchi à la question,).
Ça se trouve néanmoins très facilement, juste trois exemples (pour ne pas rallonger ce commentaire déjà bien trop long), mais encore une fois, il est facile d’en trouver de nombreux autres sur GLivre, par exemple.
En outre, pendant la guerre déjà, la propagande allemande s’est répandue tout spécialement dans les colonies britanniques et elle a cherché à agite» les esprits. Elle y a réussi dans une certaine mesure
(source)
A elle : plus physiologique que technique, plus soucieuse des résultats à lointains que des procédés brillants, très cartésienne, elle n’emprunte rien à personne sans l’avoir longtemps filtré, elle garde l’ambition de rester elle-même à travers les idées qui changent et jusqu’à présent elle y a réussi.
(source)
Il est heureux que Cécile Ladjali ait voulu aborder sa traduction, avec le souci de mettre au premier plan le corps, le souffle de l’acteur. Elle y a réussi sans ôter au texte de Shakespeare sa distance temporelle, qui garde la lointaine proximité des classiques.
(source)
Avec les constructions verbe + infinitif, c’est en effet parfois difficile de savoir si on a affaire à une périphrase verbale, ou à deux verbes pleins, et c’est précisément la pronominalisation qui permet de départager les deux structures.
Elle vient de faire / Elle va faire / Elle commence à faire ses devoirs toute seule.
*Faire ses devoirs toute seule, elle y/le vient.
*Faire ses devoirs toute seule, elle y/le va.
*Faire ses devoirs toute seule, elle y/le commence.
Elle veut faire / Elle est arrivée à faire ses devoirs toute seule.
Faire ses devoirs toute seule, elle le veut.
(À) faire ses devoirs toute seule, elle y est arrivée.
Avec devoir selon le sens :
Si devoir signifie la possibilité ≈ Elle est sans doute en train de faire ses devoirs toute seule, il est auxiliaire, l’infinitif n’est pas complément, et la pronominalisation est impossible.
Si devoir signifie l’obligation, alors il n’est plus auxiliaire, l’infinitif est complément, et la pronominalisation est possible.
Raison pour laquelle Usito catégorise commencer à auxiliaire d’aspect, mais non réussir à.
Quant à l’étiquetage selon les principes de la nouvelle grammaire de ces compléments introduits par des prépositions, le terme le plus neutre est complément de verbe, un peu plus spécifique, complément indirect de verbe ; quant à COI, il est employé par certains dans tous les cas d’un complément de verbe introduit par une préposition, donc y compris pour à Nantes dans Aller à Nantes.
Cette non homogénéité dans la dénomination des compléments d’un grammairien à l’autre, d’un ouvrage à l’autre est un vrai problème (on pourra par exemple jeter un œil sur ceci), mais pour le moment, c’est ainsi et il faut faire avec.
Et je crois que si on veut être un peu utiles aux demandeurs, il faut se mettre à la page, cette nouvelle grammaire étant actuellement enseignée dans les écoles et collèges. Il n’y a guère longtemps, ici même, on voit que dans Ce thé délicieux venait du Népal, du Népal est donné par un cahier d’exercices comme COI.
Bonsoir,
Merci à tous les deux pour vos réponses. J’étais loin d’imaginer la complexité de la question. C’est une phrase qui devait être proposée à mes élèves de CM2 mais je pense que je vais pour l’instant l’éviter. Je ne sais pas si vous parlez de moi en parlant des votants, je suis nouvelle ici, je n’ai pas encore assimilé le fonctionnement… Toutes les réponses données ici sont intéressantes et m’ont permis d’y voir plus clair. Je vous remercie pour le temps pris à me répondre. Je vais maintenant essayer d’intégrer tout cela…Encore merci!
Non, non, je ne parlais pas de vous ! 🙂
(Et oui, pour des CM2, c’est peut-être un peu ardu.)