Ces micro-critiques sont-elles grammaticalement correctes ? Si non, pourquoi ?
Une de ces micro-critiques du film Le grand silence de Sergio Corbucci est la mienne et l’autre celle de mon adversaire. Elles sont écrites dans le cadre d’un tournoi de micro-critiques qui est organisé sur le site de cinéma que je fréquente.
MC1 : Quand le droit permet de fusiller les hors-la-loi, tremper ses mains dans le sang devient un gagne-pain et l’appât du gain prime la morale.
MC2 : Funèbre linceul, la neige ensevelit lois, morale et justice dans son ultime désespérance. Requiem désenchanté pour une humanité perdue.
Bonsoir Juliano,
Après petite analyse autour de moi, tout le monde emploie la forme vieillie « primer sur »…
Je pense raisonnablement que comme nous ne sommes tous si vieux que cela, notre « mauvaise » façon de parler vient du fait que l’on utilise « primer » comme « l’emporter »….
nul n’est parfait…
Sur les deux critiques, j’ai deux petites remarques :
Dans la deuxième, j’aurais évite « funèbre » sachant qu’un linceul ne peut pas ne pas être funèbre.
J’aurais aussi dit : « une ultime » plutôt que « son ultime ».
Quand j’ai lu les deux, j’ai pensé que la première était la vôtre. Est-ce que je me trompe ?
Bonjour, Sylvamat.
La première fois que j’ai écrit une formule de ce style, j’avais hésité à garder la préposition ou non. J’avais quand même bien approfondi cette question et je privilégie d’écrire primer sans la préposition « sur ».
Vous avez raison, la première est bien la mienne. Ma seule hésitation était sur le fait de mettre une virgule avant le « et l’appât du gain prime la morale ». La règle est ambiguë, car même si les deux mots liés n’ont pas la même fonction grammaticale, il n’y a pas d’équivoque. Cela rend donc la virgule superflue à mon humble avis. Je voulais également faire une seconde phrase avec « L’appât du gain prime la morale. », mais je me suis dit que cette proposition avait plus de sens en étant raccrochée au complément circonstanciel « Quand le droit permet de fusiller les hors-la-loi ». Je suis conscient que la lecture en devient moins agréable et j’imagine que c’est ce qui fait en partie que j’ai perdu 4 à 21 face à mon adversaire.
Pourtant, j’ai vite remarqué plusieurs défauts sur la micro-critique adverse. Le côté pléonastique du funèbre linceul. Je trouve également que le sujet « la neige » ne correspond pas à l’action d’ensevelir lois, morale et justice, même au figuré. Je comprends l’image de vouloir associer la disparition des corps de hors-la-loi sous la neige à un problème de justice et de morale, mais je ne crois pas que l’on puisse construire la phrase de cette façon. Je ne vois pas comment l’on peut écrire « justice dans son ultime désespérance », en effet, la désespérance étant l’état de quelqu’un qui a perdu l’espérance. Je trouve cette MC plus agréable à lire que la mienne, mais elle est aussi par son côté poétique loin de l’ambiance du film qui met en scène l’apprêté de cette époque avec des personnages qui ressemblent plus à des sauvages que des poètes. Je pense que la beauté des mots l’a emporté sur le sens et la grammaire dans ce duel. C’est le jeu et d’autant plus sur un site où la grammaire est, hélas, un peu trop malmenée.
Bonne journée.
Bonjour.
Cela ne choque que moi de lire que la neige ensevelit lois, voire morale et justice ? J’imagine que la morale et la justice qui sont bafouées font référence aux corps des hors-la-loi recouverts de neige, mais pourquoi les lois ? Que veut dire justice dans son ultime désespérance ?
Je ne comprends pas grand chose à la première phrase de mon adversaire, encore moins en lisant les définitions suivantes.
ENSEVELIR v. tr. XIIe siècle. Soit directement issu du latin chrétien insepelire, soit dérivé de l’ancien français sevelir, du latin classique sepelire.1. Litt. Mettre au tombeau, inhumer. La manière d’ensevelir les morts diffère selon les peuples. Spécialt. Envelopper un mort dans un linceul en vue de son inhumation. 2. Recouvrir entièrement. On retrouva son corps enseveli sous les décombres. Une avalanche avait enseveli le village. Une cité ensevelie sous les sables. 3. Fig. Enfouir, cacher. Ce sont des faits qu’il vaut mieux ensevelir dans l’oubli. Être enseveli dans sa rêverie, rêver profondément. Pron. S’ensevelir dans l’étude, dans les livres. S’ensevelir dans la retraite, dans la solitude, se retirer entièrement du monde.
DÉSESPÉRANCE n. f. XIIe siècle ; repris au XIXe siècle. Dérivé d’espérance.Litt. État de quelqu’un qui a perdu l’espérance. Désespérance absolue. Mourir dans la désespérance. Une noire, une morne désespérance l’envahissait. Bien qu’il n’eût aucun motif de désespérance, il ne tenait plus à la vie. Ses échecs répétés l’avaient conduit au bord de la désespérance.
Bonsoir,
Oui, dans la deuxième critique, on ne sait pas a qui appartient cette désespérance : la neige ou la justice. Il m’a semble que la justice était plus acceptable.
Je suis d’accord pour dire que dans cette critique, la beauté des mots comptent plus que le sens.
C’est un peu plus acceptable pour la justice, mais pas très évident non plus. Sur mon site de cinéma, parler grammaire n’est pas très apprécié, hélas : on préfère ce qui sonne bien à l’oreille en invoquant la poésie.
Bonjour Juliano,
Les deux phrases me paraissent correctes. Notamment, vous avez bien employé le verbe primer : il convenait d’éviter prime sur.
Il fallait écrire : l’appât du gain prime sur la morale. (l’appât du gain est plus important que la morale)
On aurait pu aussi écrire : l’appât du gain l’emporte sur la morale.
Voici pourquoi j’ai écrit qu’il convenait d’éviter prime sur :
PRIMER
« Mod. (Abstrait) L’emporter. V. tr.« La forme voulant primer le fond » (→ Chicane, cit. 6). L’idée chez lui primait tout le este. Degré,cit. 29).Leurs obligations mondaines (cit. 6) priment la mort d’un ami. Des hommes où l’idée religieuse (…) prime tous les intérêts (→ Mouler,cit. 5).— Prov .La force prime le droit (3. Droit,cit. 36).
© 2017 Dictionnaires Le Robert – Le Grand Robert de la langue française »
Ce dict. précise que primer sur dans le sens de « occuper la première place », « avoir l’avantage sur les autres » est vieilli.
J’ajoute que le dict. des difficultés de Colin dit : On ne dira pas « primer sur ». De même, le « Girodet » donne ce verbe uniquement comme transitif direct et ajoute : « C’est le rendement qui prime tout. On n’écrira pas C’est le rendement qui prime sur tout. » Le « Hanse » écrit qu’aujourd’hui ce verbe est transitif direct et Eviter « primer sur ».
Le dict. de l’Ac. écrit à propos de primer :
« Tenir la première place, avoir l’avantage sur les autres. C’est le dévouement qui doit primer sur tout autre devoir.
Transitivement. Litt. L’emporter sur quelque chose ; devancer, surpasser quelqu’un.« La force prime le droit » est un mot célèbre attribué à Bismarck. Ses désirs priment tout.Absolument.Elle aime à primer partout. »
Dans le sens de « l’emporter sur quelque chose » (la morale est qqch. et non qn,), l’Ac. donne donc le verbe primer comme transitif direct.
Ma conclusion : Compte tenu de tout ce qui précède, je maintiens mon conseil d’éviter (je n’ai pas écrit de proscrire) primer sur dans la phrase MC1, qui est donc correcte.
Bonne soirée.
Bonjour, Prince.
Effectivement, j’ai bien vérifié l’emploi de primer et cela déjà depuis une micro-critique du film Et pour quelques dollars de plus. Je suis donc également convaincu qu’il vaut mieux se passer de la préposition « sur ».
Merci.
Juliano
J’avais pensé que son ultime désespérance pouvait ne pas être complètement du nom justice, mais complément circonstanciel de lieu et se rapporte à l’ensemble de la proposition. Cela m’a été confirmé par l’auteur, mais je ne vois toujours pas comment la neige peut avoir une ultime désespérance, vu qu’elle n’a pas d’âme.