ça m’interpelle, quelque part….

Bonjour à toutes et tous,

Je ne sais plus à quel saint me vouer.
Depuis toujours, dans le verbe « interpeler », je double le « L »  pour avoir le son « ê ».
Ex : J’interpelle.

Depuis toujours, quand je ne veux PAS le son « ê », je ne mets qu’un seul « L ».

Ainsi, lorsque je veux parler d’une personne apostrophée, ou arrêtée par la police, par exemple, j’écris « l’interpelé » ou « l’interpelée ». Un seul « L », sinon je lis interpêlé(e).

Or, apparemment, j’ai tort. On écrirait « interpellé(e) » en maintenant la prononciation « peulé » malgré le double « L ».

Pouvez-vous m’aider ? Merci beaucoup !

Anjinsan Amateur éclairé Demandé le 11 août 2024 dans Général

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4 réponse(s)
 

Cette anomalie bien connue a été corrigée par les rectifications orthographiques de l’Académie française en 1990. Comme dans appeler, on ne double le L que si la prononciation le requiert.
Il est évident, à écouter et lire les médias qui utilisent massivement ce mot, que la normalité met du temps à revenir. Mais vous pouvez donc maintenir votre position sans trembler si vous êtes cohérent avec votre propre prononciation. De mon côté, je n’entends jamais « un interpèlé », c’est une prononciation biaisée et forcée.

Chambaron Grand maître Répondu le 11 août 2024

Je vous remercie pour votre réponse !

Bon dimanche.

Anjinsan Amateur éclairé Répondu le 11 août 2024

Pour les mots qui étymologiquement ne prennent qu’un « l », les rectifications orthographiques de 1990 ont annulé la pratique absurde qui consistait à doubler le « l » dans certains cas pour donner le son « èl », au profit d’un simple accent qui ne dénature pas le radical du mot.
Avant 1990 : ruisseler, il ruisselle, ruissellement
Après 1990 : ruisseler, il ruissèle, ruissèlement
L’idée est de traiter tous les mots en respectant leur histoire, comme on le faisait déjà avec : peler, il pèle
La méthode est simple et cohérente, elle permet de respecter l’orthographe des mots, de respecter le radical sans doubler de lettre, et d’utiliser simplement des accents pour indiquer la prononciation.

Mais avec un mot comme « interpeller », c’est exactement le contraire. On a un mot qui étymologiquement demande le double « l », et il n’y a aucune anomalie d’écriture à conserver ces deux « l ».
On écrit ainsi (du latin pellare) interpeller, interpellation, il interpelle, il a interpellé… comme on écrit (du latin stella) consteller, constellation, il constelle, il a constellé. Le double « l » est conservé dans toutes les formes du mot.

Mais vient la question de la prononciation.
Vous acceptez presque toujours qu’on n’écrit pas comme on prononce (ruiso s’écrit ruisseau), mais vous avez fait une exception pour le nombre de « l », car, cela intervenant en contexte de conjugaison, vous y voyez une raison logique. Dans ces situations, il y aurait une bonne raison pour modifier fondamentalement l’écriture d’un mot, jusqu’à son radical, simplement pour indiquer une prononciation. L’orthographe devrait devenir dans ce cas, et rien que dans ce cas, une transcription de l’oral.
Ce raisonnement ne tient pas. D’ailleurs, qui sait rigoureusement comment on prononce « interpeller » à Pau, à Grenoble, ou à Kinshasa ?
Parce qu’on prononce « interpeuleur » à Paris, il faudrait changer l’orthographe du mot au détriment de l’étymologie et de vingt siècles d’usage.
Combien de mots ne prononcez-vous pas comme vos grand-parents ou comme vos cousins éloignés ? Souhaitez-vous que ces mots changent d’orthographe selon les générations et les régions ? Cela se fait en partie, mais est-ce bien l’objet de votre question, que de savoir si l’orthographe doit fluctuer selon la situation dans le temps et dans l’espace du locuteur ?
La règle à la mode sur ce site est « puique vous prononcez comme ça, écrivez donc comme ça », et cette règle est scandaleuse. Passez une heure sur Facebook pour en prendre conscience.
Si un jour on s’aperçoit que les présentateurs de la télé prononcent « il constelle », mais « il a constelé », faudra-t-il modifier l’orthographe dans la conjugaison du verbe « consteller » ? jusqu’à renier l’étymologie « stella » ?

Vous savez probablement que les prononciations « interpèlation » et « interpélation » existent toutes les deux, mais qui dira laquelle est la bonne, et qui en tirera la conclusion que ce mot devra désormais officiellement s’écrire de telle ou telle façon ? Puis-je vous demander par exemple comment vous, vous l’écrivez, ou comment vous souhaiteriez l’écrire ? Si vous prononcez personnellement « interpèlation », ce sera facile de continuer à écrire « interpellation », mais si vous prononcez « interpélation », comme à la télé, que ferez-vous ? Est-ce que chacun doit écrire selon sa prononciation personnelle ? Est-ce la prononciation de la télé qui compte ?

Depuis « interpellare » en latin jusqu’à « interpeller » en français de 1989, on a respecté le double « l » pendant deux-mille ans. Là où je vois une certaine stabilité, d’autres voient une anomalie qu’il serait temps de rectifier, car l’orthographe aurait dû évoluer en même temps que la prononciation. Mais des milliers de mots ont conservé les lettres qu’on ne prononce plus ou qu’on prononce différemment, et on continue à écrire différemment conte, comte, et compte, alors qu’on les prononce identiquement. Vous ne pouvez pas traiter la persistance ou la disparition d’une lettre étymologique comme une simple indication de prononciation.
Jusqu’à 1990, il était normal de se plier à l’orthographe normalisée, par exemple celle de l’Académie française, et d’écrire : interpeller, j’interpelle, je suis interpellé. S’il y avait anomalie, elle était dans la prononciation, non pas dans l’écriture.

Et cependant les rectifications orthographiques de 1990 vont dans votre sens. Cela s’est passé en deux temps: 1740 puis 1990.
* Le mot latin « appellare » est devenu en français « appeller ». Je viens de parcourir Montaigne, qui n’écrit que « appeller ». Le Dictionnaire de l’Académie française de 1718 ne propose encore que « appeller ». Ce n’est que l’édition de 1740 qui introduit « appeler ». L’Encyclopédie, quelques décennies plus tard, utilise encore l’orthographe « appeller ».
La nouvelle orthographe a cependant très bien fonctionné et s’est imposée, mais seulement pour ce mot « appeller » qui est devenu « appeler », le double « l » étant conservé quand la prononciation le demande (il appelle).
Ce qui peut paraître une anomalie est que, en 1740, l’Académie française n’ait pas demandé la même évolution, en même temps, pour les verbes « appeller » et « interpeller », ce dernier verbe restant orthographié « interpeller » jusqu’à l’avant dernière édition du dictionnaire, en 1935. La dernière édition, ayant été rédigée après 1990, propose les deux graphies.
* En 1990, l’orthographe « interpeller » n’est pas jugée anormale par rapport à l’histoire du mot, elle n’est anormale que dans la mesure où elle n’a pas subi la même rectification arbitraire que le verbe « appeler » a subie en 1740. On voit que supprimer l’anomalie de « interpeller », qui a avait vaillamment résisté, en 1990, revient en fait à lui faire connaître le même sort qu’a connu le verbe « appeller » en 1740.
C’est possiblement une bonne chose, mais seulement à condition de reconnaître que le mot « interpeller » rejoint désormais dans son anomalie le mot « appeler », qui, bien que tiré d’un radical latin exigeant les deux « l », s’écrit une fois ave un « l », une fois avec deux « l », sans aucun respect de l’histoire du mot, simplement parce que des fois on prononce le « e » de telle façon, et des fois d’une autre façon.

Notez aussi qu’il y a des implications. Par exemple, les millions de personnes qui continuent à prononcer « en interpellant » « en interpèlant », comme on l’a toujours fait chez eux, devront se résoudre à écrire désormais « en interpelant », et la génération suivante prononcera certainement « en interpeulant ». Rationnaliser l’orthographe, cela s’entend. Mais il s’agit plutôt ici d’uniformiser la prononciation. On est plus proche de l’uniformisation sociale que de la simple formulation de règles d’orthographe rationnelles. Dans ces cas la nouvelle orthographe impose en réalité clairement à moyen terme une nouvelle façon de parler.

Et donc, concernant votre question précise :
* Oui, vous aviez complètement tort d’écrire « interpeler » avant 1990, car vous rompiez avec deux-mille ans de transmission sans aucune légitimité pour le faire (vous n’avez pas à adapter l’orthographe des mots à votre prononciation personnelle) ;
* Oui, vous pouvez désormais écrire « interpeler » à la place de l’ancien et vénérable « interpeller » ;
* Non, il ne s’agit pas de l’abandon d’une exception infondée, car il s’agit au contraire de traiter désormais un verbe qui avait toujours respecté la norme de la même façon désormais que le verbe « appeller/appeler » qui depuis 1740 prend parfois un « l » et parfois deux « l », indépendamment de son sens et de son étymologie, et cela pour de simples raisons réelles ou supposées de prononciation majoritaire ;
* De façon générale, vous n’avez aucune autorité pour choisir d’écrire les mots de telle ou telle façon afin qu’ils soient prononcés de telle ou telle façon ;
* Pour l’immense majorité des mots français, il n’existe pas de correspondance stricte entre la graphie et la prononciation, et vouloir en établir une à l’occasion de la conjugaison d’un verbe spécifique au prétexte d’une prononciation qui diffère, c’est prétendre donner un rôle syntaxique à l’orthographe en dehors des déclinaisons et accords verbaux… si c’est le cas il faut le dire.

CParlotte Grand maître Répondu le 11 août 2024

Bonsoir,
Je vous remercie d’avoir pris le temps de ce long message fort édifiant.

Je sais que je ne sais rien.

C’est pour cela que je demande…

Maintenant, je sais un peu plus.

Bien cordialement

Anjinsan Amateur éclairé Répondu le 12 août 2024

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