Au-devant ou Aux devants
Dans cet article du journal Devoir, le journaliste Brian Myles a écrit :
[…]..] Roche donnait des cadeaux aux élus et multipliait les attentions pour aller aux devants de leurs besoins.
Qu’en pensez-vous ?
Au-devant est une locution adverbiale donc aux devants est une fantaisie ou alors une confusion avec « prendre les devants ».
Mon avis est qu’aucun des deux ne convient.
Comme préposition, c’est « au-devant de », au singulier et avec trait d’union. Aller au-devant de, c’est aller vers, en direction de, à la rencontre de.
Je pense qu’on peut aller au-devant de graves ennuis, au-devant des clients, mais pas au-devant de leurs besoins, en direction de besoins, à la rencontre des besoins.
Je serais moins sévère avec « au-devant des désirs », ces désirs n’étant pas forcément des manques, il me semble possible de les approcher. Mais rien n’indique pour autant que cela signifierait « devancer l’expression des désirs », et je crois que c’est à tort qu’on l’emploierait dans ce sens.
Dans Wikisource, on trouve pourtant au moins 4 « aller au(-)devant des besoins », dont Rousseau, Voltaire et Chateaubriant, qu’on ne fera pas changer d’avis maintenant.
L’auteur de cette phrase utilise à mon avis « aller aux devants de » pour « anticiper », « devancer », avec un sens proche de « prendre les devants », et c’est sans doute la raison pour laquelle il n’a pas voulu écrire un banal « au-devant de » qui n’indique qu’une direction. Mais « aller aux devants de » n’existe pas comme expression, et ce n’est pas non plus analysable mot à mot puisque les besoins n’ont pas de devants.
Complément : « Aux devants de » dans Google Books :
1750 Le superbe Cortége, nommé par le Roi, pour aller aux devants de la Sérémissime & Roïale Infante…
1778 Les équipages… qui allèrent aux devants de l’Ambassadeur…
1758 Nous allons aux devants de l’ennemi…
Je suis tout-à fait prêt à entendre une justification du type : ce n’est pas ici une locution prépositionnelle mais une préposition simple suivie d’un substantif ; ils vont bien vers « les devants », vers une escorte, vers le front d’une armée…
Mais on trouve aussi :
1997 Cet exposé fonce donc tout droit aux devants de certaines ambiguïtés.
Là c’est une simple faute d’orthographe, les ambiguïtés n’ont pas de devants (comme plus haut les besoins).
Pour moi, il s’agit en effet d’une confusion entre « aller au-devant de » et « prendre les devants ». C’est une faute oubliée du correcteur, s’il y en a eu un. La presse écrite, et plus encore la presse électronique, en sont très fréquemment dépourvus !