Accord de « vu » + infinitif
Bonjour,
Dans cet exemple : « Les larmes qu’elle avait vues briller dans ses yeux « , je n’aurais pas accordé « vu », car pour moi, le « qu' » représentant les « larmes » est le cod de l’ensemble « vu briller ».
Qu’en pensez-vous ?
Merci par avance
Jean-Michel
Peut-être pensez-vous qu’il existe un emploi du verbe « voir » comme auxiliaire, dans la continuité de « faire » et « laisser » :
— Des idées qu’on a fait prospérer, des idées qu’on a laissé prospérer, des idées qu’on a vu prospérer…
Effectivement, quand « voir » ne signifie pas « regarder », ce n’est qu’un auxiliaire, qui n’a donc pas de COD, et on se demande alors bien pourquoi il faudrait que son participe passé s’accorde.
Puisqu’on admet depuis 1990 que « laisser » présente ici toutes les caractéristiques de l’auxiliaire et qu’il n’est pas utile de l’accorder avec un supposé COD antéposé, ce même raisonnement vaut logiquement pour « voir ». Cependant, aucune autorité n’a jamais laissé entendre qu’on devait respecter la logique, et il nous est demandé de continuer à accorder comme si « voir » signifiait « regarder », et en considérant que l’agent de l’infinitif antéposé est le COD du verbe conjugué.
— J’ai regardé cette fille danser. La fille que j’ai regardée. La fille que j’ai regardée danser.
— On a vu prospérer ces idées. Les idées qu’on a vues. Les idées qu’on a vues prospérer.
Est-ce idiot de considérer qu’on a vu des idées, et que ces idées prospéraient alors qu’on a seulement vu prospérer des idées, parce qu’un parti a fait prospérer ces idées ? Oui c’est idiot, illogique, mais c’est comme ça.
Vous êtes simplement en avance, et de prochaines rectifications officielles viendront certainement un jour admettre que « vu » ne doit pas être accordé quand il sert de support à un autre verbe.
Dans votre exemple, c’est moins caricatural, car on peut réellement voir une larme, et finalement l’accord passe plus ou moins :
— J’ai vu ses larmes. Ses larmes brillaient. J’ai vu ses larmes qui brillaient. J’ai vu ses larmes briller. Les larmes que j’ai vues. Les larmes que j’ai vues briller…
Mais cet accord trahit votre pensée. Car ce que voulez dire, ce n’est pas que vous avez vu une larme, et que cette larme brillait. Ce que voulez dire, c’est que vous avez vu un scintillement, et que ce scintillement était celui d’une larme. Vous n’avez pas d’abord vu « une larme », mais vous avez d’abord vu « briller ». Si on peut dire « j’ai entendu chanter », sans préciser l’agent, on a bien la preuve que l’agent de l’infinitif n’est pas forcément le COD du verbe conjugué. Même en oubliant l’approche par l’auxiliaire, et en considérant une approche par le COD, on doit bien reconnaître que le COD du verbe « voir » n’est pas à lui seul « une larme », mais est « briller une larme » :
— J’ai vu un scintillement. J’ai vu briller quelque chose. Et ce quelque chose était une larme. Ébloui par une larme que j’ai vu briller.
Certes, l’agent de l’infinitif (qu’est-ce qui brille ?) est placé avant, mais il n’est aucunement à lui seul COD du verbe « voir ».
Si c’est là votre approche, vous avez bien raison de ne pas accorder le participe passé. Le COD de « voir » n’est pas l’agent de l’infinitif (une larme) mais la proposition infinitive entière (briller une larme), centrée sur l’action du verbe et non sur son agent (je vois que des larmes brillent et non je vois des larmes qui brillent).
Ces deux approches convergent vers l’idée qu’un verbe utilisé pour en introduire un autre n’a pas de COD propre commandant un éventuel accord. Le sentiment de conflit que vous ressentez entre la règle arbitraire (accord avec l’agent antéposé de l’infinitif) et le sens souhaité (« voir » ne fait qu’introduire un autre verbe) est assez répandu. Il est à l’origine de nombreuses questions, et sur ce site les demandeurs sont généralement renvoyés à la niche à coups d’explications oiseuses.
Les jours d’examen, accordez l’auxiliaire « vu » comme un verbe ordinaire admettant un COD simple. Mais dans les autres situations, écrivez logiquement, et si le verbe « voir » introduit un infinitif (soit en tant qu’auxiliaire, soit en tant que verbe transitif ayant pour COD un prédicat non réductible à son sujet, c’est un peu pareil) alors n’accordez pas ce « vu ».
Un très grand merci à vous pour ce développement très détaillé et argumenté.
Cela me rend vraiment service.
Jean-Michel