Accord des adjectifs composés
Bonjour,
Avez-vous une idée de la raison pour laquelle l’adjectif « mort » reste invariable dans « mort-né » : une enfant mort-née / des enfants mort-nés et non morte-née/morts-nés, alors que dans une autre configuration, cet adjectif s’accorde : mort(e)(s)-vivant(e)(s), ou que dans une configuration identique un autre adjectif s’accorde : premier(e)(s)/dernier(e)(s) né(e)(s) ?
Pour « nouveau-né », je comprends l’invariabilité (même si on trouve des cas d’accord), puisque « nouveau » n’est plus un adjectif, mais un adverbe (extrait du tlfi) :
II. −Emploi adv.
A. −[Avec part. passé formant un adj. ou un subst. comp.] V. aussi supraI A 1 c.Du beurre nouveau battu, des vins nouveau percés (Littré). V. nouveau-né.Les nouveau-venus (…) pour la plupart ne s’attendaient pas à pareille rencontre (Theuriet, Mariage Gérard, 1875, p.66).Il ne semble pas que les pestiférés nouveau venus aient jamais été en contact direct avec les autres, parqués dans des quartiers fermés (Artaud, Théâtre et son double, 1938, p.21).
Mais « mort » n’a pas cette valeur adverbiale. D’ailleurs, on comprend en effet bien : un enfant nouvellement né, mais je ne vois pas ce que voudrait dire un enfant mortellement né.
Merci.
Merci à tous pour vos réponses.
J’ai un peu continué mes recherches, et je constate que Littré (voir ci-dessous) a également du mal à voir dans ce cas un adverbe, qui avance un prudent « préfixe » invariable (alors qu’il évoque bien un adverbe dans le cas de « nouveau-né(e)(s) »).
« Au plur. Des mort-nés, suivant l’Académie. Laveaux veut qu’on écrive morts-nés, disant qu’il s’agit d’enfants nés morts ; mais, comme l’usage a prévalu de dire au féminin mort-née, il faut considérer ici mort comme un préfixe invariable. »
Dans les ouvrages du XIXe siècle, on trouve pas mal de cas où « mort » est accordé, et j’aime tout particulièrement celui-là (extrait de cet ouvrage https://urlz.fr/j1oh) :
Belles recherches, on voit la formation des usages et ses aléas.
En effet, j’ai cherché à justifier cet absence d’accord par un raisonnement fallacieux alors qu’il ne s’agit que d’usage. Évidemment « mort » n’est pas ici une manière mais un état : né en étant mort. Logiquement il devrait y avoir accord.
Et merci à Souriceau et Ouatitm !
Encore un bel exemple de la bien connue incohérence de l’Académie française et de ses affidés.
Cet archaïsme est né et s’est développé dans un contexte religieux où les avortements et les morts à la naissance étaient nombreux et posaient un problème à l’Église, qui gérait l’état civil des personnes : sans baptême, pas d’existence reconnue, pas de prénom, pas de sexe. Ces « enfants » étaient des neutres (donc masculins par défaut) tout juste bons pour les limbes. Ce contexte a évidemment disparu. Le sens figuré est redevenu à la mode (une réforme, une loi par exemple), mais on peut s’interroger sur son bien-fondé. Il y a des synonymes plus adaptés.
Pour l’accord en nombre, il n’y a aucune justification et nombreux sont les auteurs, éditeurs et correcteurs (dont moi) qui outrepassent l’esprit léger cette prétendue exception.
On pourra noter que le français médiéval écrivait souvent « morné », solution heureuse qui évitait les discussions oiseuses…
Bonjour Chambaron,
Quand vous dites outrepasser cette exception, vous voulez dire que vous n’accordez pas « mort-né » en nombre ou que vous l’accordez également en genre ?
Merci bien Chambaron pour votre réponse. Mais, permettez-moi de trouver votre un argument un peu paradoxal : si les enfants mort(s)-nés ne sont pas inscrits sur les registres de l’église, alors la question de l’accord selon leur sexe ne se pose pas.
Et en fait, je ne suis pas si certain que ça que le sexe de l’enfant mort-né fût si indifférent (en tout cas si systématiquement). Cette question sur l’accord de cet adjectif m’est venue après avoir vu le film « Piccolo corpo », qui se déroule dans l’Italie du tout début du XXe et où une mère qui a donné naissance à une fillette mort(e)-née ne se résolvant pas à savoir son bébé éternellement coincé dans les limbes, entreprend un voyage pour rejoindre un sanctuaire où sa fille sera ressuscitée le temps d’être baptisée. Ici, le sexe de l’enfant n’est pas du tout neutralisé. Évidemment, ce film n’a pas valeur de documentaire historique, et évidemment du point de vue de la mère, l’enfant est tout sauf neutre, mais on trouve assez facilement sur la toile des exemples où le sexe de l’enfant mort-né (et en effet non baptisé) est indiqué (avec ou sans l’accord de « mort »), juste quelques-uns pour illustration :
Eh bien mais si, « mort » a ici une valeur adverbiale : « d’une manière qui est d’être mort ».
Certes l’adverbe « mortellement » n’a pas le même sens : il signifie : « d’une manière qui provoque la mort ».
C’est d’ailleurs l’absence d’adverbe pour dire « dans un état de mort », qui fait que l’adjectif est adverbialisé ici.
Et si ce n’était pas le cas, si « mort » gardait sa valeur d’adjectif, il serait post posé à « né »: des enfants nés morts => des enfants qui sont nés morts.
Merci bien Tara pour votre réponse, mais j’avoue ne pas être très convaincu par la valeur de « mort » comme adverbe (surtout de la façon dont vous l’avez analysé : d’une part, « (une enfant née) d’une manière qui est d’être mort(e) » ne me semble pas vouloir dire grand-chose, d’autre part, en principe on analyse l’adverbe de manière de cette façon : manière + adjectif qui qualifie la manière : un pièce aménagée banalement = d’une manière banale et non d’une manière d’être banale / Elle parle fort = d’une manière forte et non d’une manière d’être forte… Et alors, « elle est née d’une manière morte » ???), mais surtout il me semble qu’il s’agit de dire que cette enfant est née morte, était (déjà) morte quand elle est née, où on voit que « mort » est vraiment un adjectif. Comparé à « nouveau-né = qui est né il y a a peu de temps / récemment » où la valeur est clairement adverbiale.
(Enfin, et même si cet argument n’est pas absolument déterminant, je constate que contrairement à d’autres adjectifs dont les valeurs adverbiales sont bien données par les dictionnaires, ce n’est pas le cas pour « mort ».)
Dans mort-né, mort est considéré comme adverbe et donc reste invariable. THOMAS, Dictionnaire Larousse des difficultés de la langue française, ouvrage couronné par l’Académie française, , page 272.
Merci Prince pour votre réponse, mais trouvez-vous vraiment que « mort » peut se comprendre comme un adverbe dans le cas présent ? Personnellement, je reste pour l’heure sur ma position : je ne vois pas comment « mort » peut être adverbe ici. J’imagine que c’est par rapprochement de « mort (+ né) » avec « nouveau (+ né) » et de façon abusive que « mort » est considéré comme un adverbe.
Peut-être qu’un autre intervenant pourra me convaincre que « mort » peut bien dans ce cas-là avoir valeur adverbiale.
Bonsoir,
pour ma part je pense que certains termes viennent de temps reculés et que c’est l’oralité qui a fait la règle.
On pourrait se laisser aller à penser que la grammaire s’est pliée de force à l’usage et qu’elle a décrété que mort aurait valeur d’adverbe pour que l’usage soit justifié.
Explication poétique et absolument invérifiable mais ce ne serait pas la première fois que grammaire et syntaxe nous imposent la seule explication qui vaille :
« Parce que, c’est comme ça ! »
Bien pensé, l’usage est ainsi…et l’on sait que ce n’est pas forcément logique.
Ça ne dit pas pourquoi, à quel moment, et de quelle manière, ce qui est la question de Souriceau.
Effectivement, je pense également, qu’il sera difficile d’attester de la valeur adverbiale de « mort » dans « mort-né »
Les cas d’invariabilité injustifiables sont nombreux :
« Élodie est quelqu’une de gentille » devrait être logique et pourtant.
Merci Ouatitm pour votre réponse. Oui, j’aime encore mieux un « Parce que c’est comme ça ! » qu’une justification a posteriori avec une analyse (mort comme adverbe) qui me semble peu défendable.
(J’ai bien noté le « décrété », et j’ai souri.)