À LA / EN interchangeables ?
Je me demande pourquoi plus personne ne dit ni n’écrit
« Partir À LA retraite » mais « EN retraite »
« Vivre À LA campagne » mais « EN campagne »
« DANS LES soirées » mais « EN soirée »
« Dans LA matinée » mais « EN matinée »
« À LA recherche d’un emploi » mais « EN recherche d’emploi » ?
Or, il me semble qu’avec EN ces expressions changent complètement de signification : « Battre EN retraite » signifie « fuir », « Être EN campagne » renvoie à une « période d’autopromotion », pour un comédien « Jouer EN matinée » signifie que la représentation a lieu « l’après-midi » (!), et « EN recherche »… ne signifie rien du tout !
Ma question est celle-ci : ces tournures sont-elles erronées ou, encore une fois, au nom de je ne sais quelle évolution de la langue, « admissibles » ?
Il est incontestable que « en campagne » doit être réservé aux opérations militaires (« partir en campagne », « les troupes sont en campagne ») ou à des opérations de communication (« être en campagne électorale »). L’employer dans un autre contexte serait un contresens.
Il faut donc dire exclusivement « vivre à la campagne ».
On réservera « en retraite » au domaine militaire (« battre en retraite») ou dans le sens de « se retirer quelque temps pour se ressourcer, méditer… », on dira bien alors « partir en retraite ». Pour un état, une situation, « être en retraite » est tout à fait admis (« un fonctionnaire en retraite »), mais on dira aussi « être à la retraite ».
Le Bon usage précise :
« En parlant de quelqu’un qui s’est retiré d’une fonction ou d’un emploi, tout en continuant à toucher une somme mensuelle, on dit qu’il est à la retraite (Ac. 1935, art. retraité) ou en retraite : Officier, fonctionnaire en retraite, à la retraite (Rob.). […] C’est à la retraite qui est demandé après mettre ou mise, admettre ou admission : Cet officier a été mis à la retraite. (Ac. 1935). » (Le Bon usage. § 1051).
Il faut dire « partir à la retraite », « être mis à la retraite » ; mais « être en retraite » ou « être à la retraite » sont admis l’un et l’autre.
Pour ce qui est de « en matinée », c’est tout autre chose : on ne devrait pas, en principe, l’employer. En effet, « matinée », dans le langage mondain, désigne le spectacle lui-même, qui se déroule en début d’après-midi (Littré) : « organiser une matinée ». L’usage courant s’est emparé du terme « en matinée ». Il en est de même pour « en soirée ». Il est ainsi admis (même parfois préférable) de dire « cette pièce se joue en matinée, en soirée » ; force est de reconnaître que « la pièce se joue dans la matinée » pêcherait par manque de clarté (et nous ne serions plus dans le même registre).
On peut épiloguer (inutilement) sur « sortir en soirée » et sur « aller dans une soirée », qui sont équivalents. En revanche, il est déconseillé de dire « il viendra en soirée » pour « il viendra dans la soirée » et hors de question de dire « la Bibliothèque offre de travailler dans la soirée » pour « la Bibliothèque offre de travailler en soirée ».
Les expressions « en recherche d’emploi » (pas très heureuse celle-là, d’ailleurs) et « à la recherche d’un emploi » nécessitent une analyse plus fine. Il faut alors envisager le côté dynamique, « à la recherche d’un emploi » et le côté plus « statique » (qui peut déplaire), « en [situation de] recherche d’emploi », soit, par élision, « en recherche d’emploi », mais, si l’on peut, en effet, accepter les deux formulations, je réserverais plutôt cette dernière à l’aspect administratif.
Il faut donc utiliser « à » et « en » à leur juste place : « habiter en ville » mais « habiter à la campagne », en tenant compte de certaines particularités.
Curieuse également d’avoir une réponse argumentée, car ces tournures ayant des significations différentes, j’ai du mal à imaginer qu’elles soient admissibles.
En effet Celina, cela pourrait sembler évident, pourtant je n’ai rien trouvé sur le sujet ! Et plus inquiétant encore, même ceux dont le métier est centré sur la langue et le langage, (journalistes, auteurs, politiques, philosophes, etc.) ont attrapé ce virus du « EN« , et semblent ne plus connaître les tournures avec « À LA »… Chez Pôle Emploi même, on parle d’individus « EN recherche d’emploi », une ancienne prof de Lettres dit d’elle-même qu’elle est « EN retraite », idem dans nos ministères… à tel point qu’on en vient à douter.
Vous avez dit « individus » ?… Que Pôle emploi utilise ce terme, c’est normal… un individu, un numéro… Mais j’aurais préféré des « personnes », des « gens »… Quant au terme « en recherche d’emploi » (il n’est pas de vous, heureusement. Vous n’êtes pas visée), il est détestable. Pourquoi employer des euphémismes ? (Une fois de plus, vous n’êtes surtout pas visée !). Un homme qui cherche du « boulot » est un chômeur, une personne qui ne voit pas est un aveugle, « point barre », il faut appeler un chat, un chat. Et puis « à la recherche d’un emploi » me paraît plus dynamisant que « en recherche d’emploi » qui est même presque ségrégatif (c’est à l’encontre du but recherché) et qui, de plus, semble dire… « éternellement »… Pour ce qui est de votre professeur de lettre « en retraite », j’ai déjà répondu à votre question. Dans les autres cas, il faut employer « à la » et «en » de façon précise et juste, ils ne sont pas toujours interchangeables, mais il reste qu’ils le sont quelquefois. Pour répondre à Chambaron, bien sûr qu’on rencontre « en mairie », « en préfecture » (tout comme « en magasin » ), mais « je préfère réserver ce « en » là pour des actes officiels : « signifié en mairie le… », « mariés en la mairie de… » (on acceptera cependant « ce document se trouve en mairie », quoique… « dans les mairies »…) On ne dira pas « je vais en mairie », mais on dira « je vais en ville ». On dira « j’habite en ville » et « j’habite à la campagne », « une promenade en mer » et « une promenade à la campagne ». Le choix du « à » ou du « en » est aussi une question de bon sens et… d’usage… établi.
Absolument d’accord avec vous !!!
Merci.
Léger bémol : voir ma « petite précision » plus bas.
En dehors des cas flagrants bien typés (vous en citez plusieurs) pour lesquels l’emploi de à +article ou en fait varier le sens, je ne situe pas trop votre problème.
Je n’ai jamais lu de critique, négative ou positive, envers en retraite, en recherche d’emploi, en lieu et place, en ville, en mairie ou en préfecture, en caisse, etc. Ces expressions, utilisées de manière constante par des organismes très visibles, auraient à coup sûr fait l’objet de violents quolibets de la part des puristes. Mais rien… Même le Projet Voltaire, qui fouine dans les coins, ne s’y est pas intéressé.
Il ne s’agit pas de rendre admissible ce qui ne l’était pas, mais d’éviter une controverse sur un sujet dont on saisit mal la genèse ou l’enjeu. Je reste néanmoins ouvert à une argumentation ciblée sur la question.
Cordialement,
Reprenons cas par cas :
- Partir à la retraite ou partir en retraite : les deux sont corrects et signifient la même chose. C’est un cas un peu particulier qui est mentionné par la plupart des dictionnaires de difficultés du français. Dans le cas de en retraite, c’est le contexte (et notamment le verbe) qui permet de déterminer le sens.
- Vivre à la campagne ou vivre en campagne : le premier est préférable.
- Voici la remarque que fait Littré :
Aujourd’hui on dit : je suis à la campagne, et non je suis en campagne ; je vais à la campagne, et non je vais en campagne. On réserve en campagne pour exprimer un mouvement soit physique soit moral, et, particulièrement, un mouvement de troupes ; autrefois cette distinction n’existait pas ; les meilleurs écrivains disaient en campagne ce que nous disons à la campagne. - On peut noter que vivre en pleine campagne est tout à fait correct.
- Voici la remarque que fait Littré :
- Dans la soirée ou en soirée : les deux sont corrects.
- En introduit ici simplement un complément circonstanciel de temps : en semaine, en été, en plein jour….
- « En règle général, en s’emploie devant un nom qui n’est pas déterminé, dans devant un nom déterminé » (Girodet).
- Dans la matinée ou en matinée : comme vous le dites, l’expression en matinée est généralement employée pour parler d’un spectacle ou d’une réunion qui a lieu l’après-midi. J’ai l’impression que dans le langage courant (notamment dans le contexte de la météo), en matinée est bien accepté par opposition à en soirée et ne présente plus vraiment d’ambiguïté. Est-ce recommandable pour autant ? Je ne suis pas qualifié pour le dire…
- À la recherche d’un emploi ou en recherche d’emploi : comme Chambaron, je ne vois aucune raison de condamner l’un ou l’autre.
- En introduit ici « une activité, un état ou une situation déterminée ». Être en affaires, en pourparlers, en apprentissage, en conférence, en consultation, en procès. Se mettre en grève. Être en activité, en fonction, en observation. Être en liesse. Être en vie. Être en péril de mort. (Ac. 9e)
Je me permets d’apporter une précision qui me semble importante :
On dit « vivre à la ville » aussi bien que « vivre à la campagne ».
L’emploi du « en« , là encore, change le sens, en introduisant l’idée du « centre ville », plutôt que l’opposition à la campagne : « Vivre en ville », « faire des courses en ville ».
Je ne pense pas que l’on dise vivre à la ville « aussi bien », autant que vivre à la campagne.
Il me semble que vivre à la ville est bien moins employé et tend à devenir désuet, un peu comme aller à la ville,
Nous ne sommes donc pas d’accord sur ce point…
Ce qui ne change rien à ce que je pense de votre argumentation brillante et de « l’ensemble de votre oeuvre » (commentaires compris) sur cette question.
Pour le compliment, je ne suis pas mécontent de ce petit désaccord…
« On distinguera en ville, qui s’oppose à chez soi, et à la ville, qui s’oppose à à la campagne » (Girodet, Littré, Ac. 1932).
C’est en tout cas la règle traditionnelle. De nos jours, l’expression en ville semble être privilégiée dans tous les cas. Par exemple, dans la dernière version du Dictionnaire de l’Académie, on trouve ceci à l’article habiter : Habiter en ville, à la campagne.