RE: D’opposer ou que d’opposer

Bonjour,

Voici la phrase qui m’interpelle :

C’est une notion bien solide chez les historiens d’opposer en tous domaines le public et le privé.

Ajouter un « que » devant « d’opposer » me parait plus correct, mais cela fait deux fois que je trouve cette formulation dans des livres édités.

Le « que » serait-il donc optionnel ou est-ce un oubli la part de l’auteur ?

Arcane Amateur éclairé Demandé le 17 novembre 2024 dans Général
4 Réponses

J’ajoute un instant le « que » dont vous déplorez l’absence :
— C’est une notion bien solide chez les historiens que d’opposer en tous domaines le public et le privé.
On a ici une formule de mise en exergue de l’attribut, précédant un infinitif sujet réel.
Comme la mise en exergue appelle classiquement un « que », comme l’infinitif sujet réel appelle souvent un « de », et comme on a ici à la fois une mise en exergue et un infinitif sujet, votre exigence syntaxique est parfaitement recevable.

Dans une phrase à l’endroit, cela donne : groupe-infinitif-sujet + verbe + groupe-nominal-attribut :
— Opposer-en-tous-domaines-le-public-et-le-privé est une-notion-bien-solide-chez-les-historiens.
On voit qu’avec la phrase à l’endroit il n’y a ni « de » ni « que » devant l’infinitif sujet.
Sans vouloir sauter à la conclusion, on peut d’ores et déjà admettre que dans une autre construction il n’y aura probablement pas grande perte de sens à l’absence de « de » ou de « que », et que ce sont deux mots qui auront surtout pour rôle de structurer la phrase. Vous trouverez ainsi régulièrement des phrases ou l’un ou l’autre des ces deux mots sera omis :
— C’est une notion bien solide chez les historiens qu’opposer en tous domaines le public et le privé.
— C’est une notion bien solide chez les historiens d’opposer en tous domaines le public et le privé.
J’ai conservé votre phrase de base, mais on trouve des exemples plus naturels des deux types (avec « de » ou avec « que ») par milliers, et tout autant du troisième type (avec « de » et « que ») :
— C’est un honneur que cette invitation.
— C’est un honneur qu’être invité.
— C’est un honneur que d’être invité.
— C’est un honneur d’être invité.
L’idée est que quand deux mots ont chacun pour principal rôle de structurer la phrase selon le même schéma (ici consistant à postposer un infinitif sujet réel), un seul de ces deux mots peut suffire, et que l’usage fait le reste, permettant de ne conserver qu’un de ces deux mots selon qu’on souhaite insister sur le fait qu’on a un infinitif sujet concret (on conserve alors « de ») ou sur le fait qu’on a une formule d’insistance plaçant l’attribut en tête de phrase (on conserve alors « que »).
Mais si on qualifie parfois d’explétif le « de » marqueur de l’infinitif sujet, rien ne permet selon moi de qualifier d’explétif le « que » articulant la phrase. On peut examiner ces deux mots l’un après l’autre.

[de]
Le « de » est un marqueur d’infinitif.
Il donne souvent un aspect plus expressif au verbe, évoquant une situation concrète et non pas l’action théorique du verbe à l’infinitif :
— marcher est bon pour la santé
— d’avoir marché une heure m’a remis les idées en place
C’est ce même « de » qu’on trouve devant un infinitif sujet réel postposé dans une construction impersonnelle :
— il est inutile de marcher (= de marcher est inutile = marcher est inutile)
C’est parce que le rôle sémantique (encore bien perceptible avec l’infinitif sujet antéposé) a carrément disparu au profit d’un simple rôle mécanique dans la construction avec l’infinitif sujet postposé, qu’on pourrait le qualifier d’explétif si l’usage n’avait pas consacré sa présence comme élément structurant. On ne peut d’ailleurs le qualifier d’explétif qu’en présence d’un autre élément structurant.

[que]
Le « que » sert à articuler la phrase.
Ici, le « que » appartient à la tournure de mise en exergue, et il est bien normal de remarquer son absence.
Car il est par nature obligatoire dans les constructions en « c’est… que » :
— C’est lui que je vois (je le vois). C’est de lui que je parle (je parle de lui). C’est hier qu’il est parti (il est parti hier). C’est un délice que cette liqueur (cette liqueur est un délice).
Dans ces phrases, le « que » n’est ni un pronom (même si dans le premier exemple il a fini par devenir un pronom relatif COD par rapprochement avec la formulation présentative) ni une conjonction de subordination, mais c’est un simple élément structurant. Sa quasi absence de fonction dans la phrase fait qu’il n’y a aucun inconvénient, ni sémantique ni syntaxique, à s’en passer quand l’articulation de la phrase est suffisamment claire.
Ce mot n’est pas explétif. Ce n’est pas le rappel à son ancienne utilité sémantique qui en fait un élément facultatif. La seule raison qui en fait un élément facultatif est sa proximité immédiate avec un un autre mot jouant déjà ce rôle.

Nous avons montré que :
— à la fois le « de » et le « que » sont justifiables
— ils sont justifiables ensemble
— ils sont justifiables indépendamment l’un de l’autre
— le rôle sémantique de « de » disparaît quand il n’apparaît que par obligation de construction
— le rôle structurant de « que » est logiquement nécessaire dans la construction « c’est… que »
— le rôle structurant de « que » ne fait double emploi, et ce mot ne peut être supprimé, que quand un autre élément est perçu comme tenant ce rôle
— c’est seulement quand « de » et « que » sont utilisés pour une même raison qu’il peut être question de double emploi et que l’un de ces deux mots peut être supprimé
— dans ces phrases, le mot « de » est parfois explétif, mais jamais le mot « que »
— quand on perçoit à la fois la nécessité du « de » et du « que », c’est que les deux sont nécessaires ; il n’y a là aucune marque fantasque de registre prétendument élégant mais généralement bien au contraire la marque d’un auteur rigoureux

CParlotte Grand maître Répondu le 18 novembre 2024
Votre réponse
Question orthographe est un service proposé par Woonoz, l'éditeur du Projet Voltaire et du Certificat Voltaire.