Adjectif utilisé comme nom
Bonjour, dans une contribution récente figurait l’expression « les avides de pouvoir » qui a été contestée car avide est un adjectif et n’existe pas comme nom. Cela avait d’ailleurs été ma première réaction, mais en y réfléchissant je finis par douter. Est-il vraiment fautif d’utiliser un « pur » adjectif en tant que nom ? Trouver d’autres exemples est moins facile qu’il n’y paraît car la plupart de ceux qui viennent à l’esprit se basent sur des adjectifs également répertoriés comme noms (les grands, les petits, les riches, les pauvres, les beaux, les laids, etc.). Pourtant une phrase comme « les étroits d’esprit n’ont pas leur place sur ce forum » ne me choque pas particulièrement, bien qu’étroit soit un « pur » adjectif. Existe-t-il une règle précise à ce sujet, ou des références dans la littérature ? Merci de votre éclairage sur ce sujet…
Question intéressante car peu analysée à ma connaissance.
Je proposerais de distinguer la nature de l’emploi. A priori, tout adjectif peut s’employer substantivement, même les plus « purs ». Quand j’écris il faut accepter l’inacceptable, je transforme un adjectif pur en substantif par ellipse de il faut accepter ce qui est inacceptable. Cela ne lui confère pas pour autant un statut de nom autonome tant qu’il n’a pas de sens propre hors d’un contexte. Quel serait le sens d’un inacceptable (ou de plusieurs !) sans aucun environnement ?
On retrouve le même souci avec les fameux « adjectifs invariables » cités par certains dictionnaires et que j’ai dénoncés sur ce site comme des absurdités. Il s’agit en général d’adjectifs ou de noms (nature) utilisés de manière adverbiale (emploi). Citron ou émeraude ne sont pas des adjectifs de couleur invariables mais des noms, non accordés à cause de leur usage elliptique dans une locution adverbiale : des tissus émeraude sont une ellipse pour des tissus de la couleur de l’émeraude. Ou encore des tournures tendance et tant de combinaisons de noms en apposition à un autre.
Comme je trouve tout cela pertinent, Chambaron. La question de ChristianF tombe bien, car elle me permet de prendre connaissance de la remarque que vous avez faite au sujet de certains adjectifs et noms liés aux couleurs. Cela éclaire bien des choses, les rend logiques.
Bonjour Chambaron, votre exemple il faut accepter l’inacceptable est très judicieux car il « substantive » clairement un adjectif (comme dans les étroits d’esprit). Mais à la réflexion et après la réponse de Tony, je me demande si le cas de la phrase de Juliano ou celle de mon commentaire à Tony (j’aime bien les musiques gaies, un peu moins les tristes) ne constitue pas un cas un peu différent où l’adjectif n’est pas à proprement parler substantivé mais reste adjectif, les n’étant plus considéré comme un article défini mais comme un pronom mis pour les musiques. Je ne sais pas si cette théorie « tient la route », merci en tout cas pour votre réponse, comme dit Zully, pertinente et éclairante…
Votre remarque est fondée mais d’une manière générale je ne pense pas que l’on puisse soutenir que des ellipses modifient la nature des mots. Dans l’exemple j’aime bien les musiques gaies, un peu moins les tristes, on peut dire que l’article défini les a une fonction de pronom, comme le serait celles dans …celles qui sont tristes. N’étant pas grammairien de profession je n’irai pas plus loin…
Bonjour Christian,
Question très intéressante ! 🙂
Pour ma part, je ne pense pas que « avides » soit utilisé comme nom. Il y a surtout ellipse du nom. Par exemple, dans « les avides de pouvoir » on sous-entend « les gens avides de pouvoir »
De la même manière dans votre exemple « les étroits d’esprit n’ont pas leur place sur le site ». On sous-entend très bien « les gens étroits d’esprit ». On peut aussi dire « les étroites d’esprit » on sous-entend « les personnes étroites d’esprit ».
J’avais déjà lu un article à ce sujet dans le Bon usage me semble-t-il. Cette tournure est correcte mais à éviter dans l’écriture soutenue. Je me souviens d’un exemple du genre :
– La langue française et l’italienne sont belles
Dans cette phrase, on n’emploie pas « italienne » comme nom, on fait bien ellipse de « la langue ».
Je vois ce que vous voulez dire, Tony, dans une phrase comme j’aime beaucoup les musiques gaies, un peu moins les tristes, les peut être en quelque sorte considéré comme pronom se référant au nom musiques dans la première proposition plutôt que comme article défini associé à tristes pris comme nom. J’aurais tendance à penser que la construction les suivi d’un adjectif est justifiée ou du moins plus facilement acceptable lorsque les reprend un nom mentionné précédemment — ce qui était justement le cas dans la phrase de Juliano, mais qui n’était pas explicite dans sa question initiale où il n’avait pas encore reprécisé le contexte de l’expression « les avides de pouvoir ».
Désolé j’explique avec mes mots, je ne maîtrise pas trop le langage grammatical.
Mais je pense qu’on se rejoint et ce raisonnement me semble correct.
Imaginons le tour suivant, du moins une phrase sortie d’un contexte. Deux personnes parlent entre elles. Un Français et un Italien.
Le Français dit à L’Italien :
– J’aime beaucoup la langue italienne !
L’italien lui répond :
– J’aime beaucoup la française aussi, elle est riche en vocabulaire.
Maintenant oubliez la phrase qu’a dite le Français et retenez que celle qu’a dite l’Italien.
C’est exactement le même cas si je ne m’abuse
joelle
Bonjour je n’ai pas contesté mais j’ai exprimé ma perplexité, car le tour ne me paraît pas très naturel.
ChristianF
Bonjour Joelle, j’ai mis contesté faute de trouver un autre mot (au départ, j’avais mis objecté mais la construction n’allait pas), mais bien entendu je n’ai en aucune façon voulu vous faire passer pour une contestataire 😉 . Dans la version initiale de ma première réponse à Juliano, j’avais aussi mis une remarque sur cette formule qui me paraissait discutable mais dans le doute je l’ai supprimée en me disant que j’y reviendrais si quelqu’un d’autre en faisait la remarque…