il nous en a jugé(s) dignes
Bonjour,
Dans la phrase « Il nous en a jugé dignes » (il est question de valeurs chevaleresques), je m’interroge sur l’accord ou non de « jugé(s) ».
Je vous remercie.
Bonsoir,
Même si l’adjectif (ici « dignes ») est le plus souvent dit « attribut du complément d’objet », cela ne fait pas automatiquement du nom pré- ou post-verbal un complément d’objet direct. On peut alors soit analyser l’ensemble [pronom ou nom + adjectif] comme le véritable cod, la contraction dune proposition complétive (il juge que ces personnes sont dignes/il juge ces personnes dignes /il les juge dignes), soit analyser le groupe [verbe + adjectif] comme un syntagme verbal, d’où parfois la tendance à ne pas accorder l’adjectif lui même : Je trouve délicieux ces petites mignardises.
Quoi qu’il en soit, l’usage habituel est qu’on accorde adjectif et participe passé du verbe quand le pronom ou nom est placé avant : il nous a jugés dignes / ces personnes qu’il a jugées dignes, non pas à cause d’une règle du cod antéposé mais probablement par cohérence avec l’adjectivation possible du participe passé : des personnes jugées dignes. Mais on peut voir autrement…
Je vois bien l’idée consistant à assimiler un couple verbe+adjectif, comme par exemple « trouver beau », à un verbe transitif, comme « admirer », les deux pouvant admettre un COD. Mais cette idée ne résiste pas une seconde à l’examen (j’ai trouvé-beau cette forêt, une forêt que j’ai trouvé-beau). Même s’il arrive que quelqu’un soit réticent à un accord de l’adjectif pour cette raison (rapprocher l’adjectif du verbe comme s’il était un adverbe, à la manière de « serrer fort »), on est dans cet exemple très loin de cette mauvaise interprétation syntaxique : « digne » ne peut pas être soupçonné ici d’avoir été mis pour « dignement » ; ce serait certes à réfléchir pour « vivre digne », mais pas pour « trouver digne » où « trouver » ne peut introduire qu’un attribut ; car si « digne » peut être (à la limite) une façon de vivre, « digne » ne peut pas être une façon de trouver. Et comme par ailleurs la question ne concerne en aucun cas l’accord de l’adjectif (zisa sait qu’il faut accorder l’attribut), cette partie de votre argumentation pourrait mériter d’être supprimée.
Et, votre deuxième option étant donc abandonnée, votre « on peut alors soit analyser comme… soit analyser comme… » devient clairement : « on n’a pas d’autre choix que d’analyser comme… ». Et puisque vous aurez finalement la même interprétation que la mienne, à savoir que le pronom antéposé n’est absolument pas COD de quoi que ce soit, il y a de grandes chances que votre réponse soit supprimée comme ont été régulièrement supprimées depuis des années la plupart de mes réponses démontrant que le pronom n’est pas dans cette structure de phrase le COD du participe passé. La folle qui défend sa thèse du pronom COD appelle nos arguments du charabia, et elle supprime allègrement les réponses, voire carrément les comptes, qui la contredisent. Vous êtes prévenu, faites des copies de vos réponses.
Une fois abandonnée l’alternative, vous pourrez aussi supprimer logiquement le « quoi qu’il en soit » commençant le dernier paragraphe. Je partage alors votre avis pour le verbe « juger » : comme elle a été jugée digne, on peut, « par cohérence », dire qu’on l’a jugée digne. Vous savez cependant que si on peut écrire « on l’a crue belle », ce n’est pas au motif qu’elle est crue belle, et que si on sait une personne malade ce n’est pas pour autant que cette personne est sue malade.
Avec le verbe « juger », il y a effectivement une continuité sémantique entre les constructions « juger qu’une personne est… » et « juger une personne ». Et cependant, cette continuité sémantique entre la construction avec attribut « juger un témoin crédible » et la construction avec épithète « juger un accusé mutique » ne permet pas d’assimiler syntaxiquement les deux constructions. On conserve deux constructions différentes. Et je pense que le seul fait que l’auteur envisage l’invariabilité suffit à considérer que le COD est dans sa phrase une proposition complétive et non un pronom.
Il nous a jugés : il a jugés « nous » : le COD est placé avant et il faut accorder avec celui-ci.
Il nous en a jugés dignes : même analyse, vous avez ajouté un COI « en » qui exprime « de quoi il nous a jugés dignes ».
Je vous remercie pour votre réponse rapide et efficace, Joëlle.
Dans « il a jugé ces personnes dignes », signifiant « il a jugé que ces personnes étaient dignes », le COD (il a jugé quoi ? il a jugé cela) est « ces personnes dignes ». En pronominalisant, seul « ces personnes » est transformé en « les » : « il les a trouvé(es) dignes ».
On doit donc considérer que « les » n’est pas COD, et que le COD est en réalité une proposition entière.
Et le pronom « les » n’étant alors pas COD du verbe « juger », il n’emporte aucun accord.
C’est la raison pour laquelle certains grammairiens, suivis par l’Office québécois de la langue française, proposent la possibilité de ne pas accorder le participe passé.
On peut aussi accorder systématiquement, comme si le pronom était réellement le COD, mais il ne faut pas perdre de vue que c’est faux, et que ce ne serait que par convention qu’on pratiquerait cet accord illogique :
— Ces maisons, je les ai trouvées grandes (j’ai trouvé quoi ? j’ai trouvé ces maisons… contresens)
— Une femme qu’on a longtemps crue morte (on a cru quoi ? on a cru cette femme… contresens)
— Une personne qu’on a pensé digne (on a pensé quoi ? on a pensé cette personne… contresens)
Et donc vous avez le choix.
Je vous remercie beaucoup pour ces nouveaux éclairages.