Alterner entre ceci et cela : avec ou sans la préposition ?
Bonjour,
J’ai fouillé les dictionnaires, le cnrtl, le Grévisse, mais pas moyen de trouver une référence à cette syntaxe qui apparaît pourtant partout dans l’usage : « alterner entre quelque chose et quelque chose ». J’ai trouvé « alterner avec », « alterner quelque chose », « alterner » intransitif, mais cet usage avec la préposition « entre » n’apparaît pratiquement nulle part si ce n’est sur un site qui documente l’usage jusqu’à faire des fautes partout. Exemples :
« J’alterne entre la tristesse et la colère. »
« Le lundi, je ne porte que du noir, mais le mardi j’alterne entre le vert et le bleu. »
« Son regard alterne entre sa mère et son père. »
Je vois pourtant cette façon de faire sans cesse. Est-elle correcte ? Comment expliquer qu’elle ne soit dans aucun ouvrage de référence ?
Je ne suis pas intéressée par des moyens de remanier ou contourner, je sais remanier la syntaxe s’il s’avère qu’il ne faut pas l’utiliser ainsi, mais d’où vient cette faute si c’en est une et comment l’expliquer ?
Merci d’avance pour les pistes ou explications que vous pourriez fournir.
Alterner ne signifie pas passer d’une chose à l’autre, mais, pour des inanimés, se succéder tour à tour de manière répétée
se succéder
Alterner avec dont vous parlez : Le sujet désigne un animé et plus souvent un inanimé abstrait, parfois un inanimé concret Être associé à quelqu’un ou à quelque chose dans un mouvement régulier de succession réciproque.
exemple : les heures de travail pénible alternaient avec des moments de détente
Ce que vous voulez dire avec la préposition « entre », c’est faire que deux éléments alternent
On ne peut pas dire : j’alternais les heures de travail avec/entre des moments de détente
Mais on peut dire : je faisais alterner les heures de travail avec des moments de détente
Cependant Le TLF précise :
Emploi transitif (de plus en plus usité à l’époque moderne). [Le sujet désigne toujours une personne] Faire succéder en variant. Alterner un travail, telle chose et telle autre :
(Citations du TLF)
Pour vos exemples :
°J’alterne entre la tristesse et la colère : non j’alterne la tristesse et la colère ne convient pas car il y a la notion d’une volonté dans le verbe
>> formuler autrement
°Le lundi, je ne porte que du noir, mais le mardi j’alterne entre le vert et le bleu.
>> le mardi j’alterne le vert et le bleu
°Son regard alterne entre sa mère et son père : non le sujet doit désigner une personne
>> formuler autrement
Bonsoir,
Recherchée sur archive.org la succession « alterne entre » renvoie presque exclusivement à des notices techniques d’appareils électriques. Il semble donc que l’expression soit d’abord un anglicisme, la traduction de « to alternate between« . Cependant, la même succession à l’imparfait « alternait entre » retourne quelques références littéraires, plutôt récentes. Ainsi Jean-Christophe Grangé dans Le Vol des cigognes (1994) : « Autour de moi, le paysage alternait entre l’aridité des déserts et l’hospitalité artificielle de villes trop neuves. » Avec cet exemple, on peut constater que la préposition n’est pas absolument liée au verbe alterner, car on aurait très bien pu écrire « Autour de moi, entre l’aridité des déserts et l’hospitalité artificielle de villes trop neuves, le paysage alternait. » avec un déplacement du complément et l’un des emplois intransitifs relevés par le TLFI avec un inanimé comme sujet.
En bref, l’emploi de entre après alterner, sans être académique, n’est pas exclu d’autant moins quand le complément est potentiellement mobile : Entre la tristesse et la colère, mes sentiments alternent. = Mes sentiments alternent entre la tristesse et la colère.
Je rejoins l’avis de Tara concernant les autres exemples :
– Le mardi, j’alterne le vert et le bleu.
– Son regard balance entre sa mère et son père
Coquille : exclu
merci (corrigé)
Ah oui, c’est intéressant comme observation.
Deux remarques avant une proposition de piste.
Ce(t) ngram conduit à deux constats :
– le premier : cet emploi n’est pas récent ;
– le deuxième : ce qui l’est, c’est l’augmentation de sa fréquence, qui a démarré il y a une vingtaine d’années apparemment.
Cela dit, si l’on s’en tient aux constructions canoniques, cet emploi est en effet difficilement justifiable, puisque :
Soit alterner est intransitif, et alors les deux parties de l’alternance sont sujets.
X et Y alternent.
Soit alterner est transitif indirect, et alors l’une des parties de l’alternance est sujet quand l’autre est complément, ce qui rend la préposition entre de fait impossible.
X alterne(nt) avec Y.
X alterne(nt) entre Y.
Soit alterner est transitif direct, et alors les deux parties de l’alternance sont bien toutes les deux compléments, mais par définition, elles ne peuvent être introduites par une préposition.
Z alterne X et Y.
Cependant, si on regarde du côté du substantif, on voit qu’il peut se construire sans problème avec cette préposition (même si c’est de qui est probablement plus typique), puisque cette fois les deux parties de l’alternance se trouvent dans une même position fonctionnelle (complément du substantif, et non plus – comme dans la construction verbale indirecte – dans deux positions fonctionnelles différentes, sujet et complément) et que le substantif construit son complément obligatoirement de façon indirecte :
(il y a) alternance entre la tristesse et la colère / entre le vert et le bleu / entre sa mère et son père.
De là à passer de la construction substantive + préposition à une construction verbale + préposition où les deux parties de l’alternance se retrouvent en complément indirect, il n’y a peut-être qu’un pas :
Z alterne X et Y >>> Z établit/fait/subit/ressent une alternance entre X et Y.
Pas que les usagers franchissent sans doute d’autant plus facilement que alterner est très proche sémantiquement de varier, osciller qui se construisent avec entre.
J’oscille entre la tristesse et la colère.
Le lundi, je ne porte que du noir, mais le mardi je varie entre le vert et le bleu.
Son regard oscille entre sa mère et son père.
Le TLFI mentionne bien alterner intransitif avec sujet unique (citations 5, 6 et 7)
Pour qu’il y ait alternance, il faut bien qu’il y ait au minimum deux X, sinon, ça me parait difficile ! 😀
C’est d’ailleurs le cas dans les citations du Tlfi qui dit bien (sans surprise) Le suj. désigne des inanimés concr. ou abstr.
5- le genre de prétexte 1, le genre de prétexte 2, …, le genre de prétexte n.
6- la planche 1, la planche 2, …, la planche n.
7- ces émotions et ces certitudes.
Si c’est juste pour dire que la pluralité de sujets n’apparaît pas forcément sous forme coordonnée, oui bien sûr, vous avez parfaitement raison (simplement, ça rendait moins lisible la présentation et ça n’intervient pas dans l’explication, ce me semble.)
Bien sûr, matériellement, il faut plusieurs éléments pour qu’ils puissent alterner mais, syntaxiquement, le sujet peut être unique, pourvu qu’il représente une entité générique capable de prendre des formes diverses : les prétextes alternent, les planches alternent, les certitudes alternent, les paysages alternent, etc. On attend justement qu’un complément ou le contexte vienne éclairer l’expression de cette alternance : les prétextes alternaient pour expliquer ses retards, entre le décès de la grand-mère et la catastrophe ferroviaire, etc. C’est en lien avec cette analyse que l’emploi de entre relève à mon avis plus de l’introduction d’un complément de manière que d’une préposition liée au verbe.
Vous répétez ce que j’ai dit, donc on est bien d’accord, sauf que je ne vois pas trop ce que signifie « une entité générique capable de prendre des formes diverses », particulièrement dans le cas présent (aucune entité générique dans les quatre exemples que vous donnez) et sauf que pour la phrase de Grangé le détachement est impossible, puisque le sujet est singulier, ce qui ne peut avoir de sens avec le verbe alterner.
Pour Entre la tristesse et la colère, mes sentiments alternent, le détachement du complément est possible, il passe alors de verbal (sauf à produire un énoncé limite yodique) à phrastique, mais le sens de la phrase en est modifié : il ne s’agit plus de dire sur quoi porte l’alternance = la tristesse alterne avec la colère, mais de donner le contexte = mes sentiments alternent entre eux, et cela au sein d’un « espace » qui va de la tristesse à la colère.
À comparer avec par exemple :
J’hésite entre 15 heures et 16 heures = Je ne sais pas si je choisis 15 heures ou si je choisis 16 heures.
Entre 15 heures et 16 heures, j’hésite = Pendant la tranche horaire qui va de 15 heures à 16 heures, je suis hésitant (≃ je procrastine).
[Par ailleurs, ça ne répond pas à la question de Totoro, puisque que vous ne prenez en considération que les cas où les parties qui alternent sont en position sujet, ce qui élude les cas – fréquents ou en tout cas pas rares – qu’elle évoque dans ses trois exemples.]
Prenons deux noms aujourd’hui fréquemment sujets du verbe alterner.
L’humeur.
Je cite les premières occurrences trouvées avec Google sur des sites d’information médicale : « l’humeur alterne entre des épisodes de tristesse pathologique persistante et des épisodes de bonheur et de plaisir extrêmes » ; « son humeur alterne entre ces deux états d’humeur extrême et de façon répétée dans le temps » ; « mon humeur alterne parfois entre la morosité, la déprime et la révolte« .
L’emploi de la préposition entre est quasi systématique. Je trouve le complément plutôt phrastique, les états cités marquant les bornes entre lesquelles l’humeur balance. Même si les états de référence sont bien marqués, ils nécessitent qu’un passage subsiste de l’un à l’autre.
Le paysage.
» Le paysage alterne entre petits villages, orangeraies, roche aride. » ; « Le paysage alterne entre dunes littorales, boisement exceptionnel de genévriers à gros fruits, aulnaies marécageuses et pâturages sur les reliefs » ; « Ce paysage alterne les vues ouvertes et les vues fermées. » ; « Le paysage alterne de larges plateaux agricoles et de belles côtes boisées. »
Avec paysage, on trouve aussi bien l’emploi transitif et l’emploi intransitif avec entre. Au-delà des habitudes rédactionnelles des uns ou des autres, la transitivité semble marquer une variation discrète (comme une succession de diapositives) et l’emploi de entre une variation continue (comme un film).
[Quant aux exemples de Totoro, je considère :
le premier comme métonymique : « J’alterne entre la tristesse et la colère. » signifie « Mon humeur alterne entre la tristesse et la colère. »
le second comme construit improprement avec entre : « Le mardi, j’alterne le vert et le bleu » où alterner a pris le sens de faire alterner, comme on alterne les cultures (il alterne le blé et le colza et non *il alterne entre le blé et le colza )
le troisième comme un usage impropre du verbe alterner (le regard ne change pas d’état et il ne fait pas alterner le père et la mère : « Son regard oscille entre sa mère et son père.« ]
Arfgh, on dirait que nous sommes à deux doigts du dialogue de sourds, à moins que nous y soyons déjà plongés jusqu’au cou, enfin aux oreilles, même ! 😀
Alterner intransitif ne peut pas avoir un sujet singulier unique (singulier + multiple, oui ; unique + pluriel, oui ; mais pas singulier + unique), c’est par définition absolument impossible. Le Tlfi ne dit rien d’autre (comment pourrait-il en être autrement ?)*. Si le complément est phrastique, il est supprimable et donc :
Les paysages alternent. OK (Un paysage de campagne succède à un paysage de montagne qui succède à un paysage de plaine, etc.)
Le paysage alterne. NON pas du tout, mais alors pas du tout, du tout, du tout OK. (Le paysage ne peut pas succéder à lui-même.)
Par conséquent, dans tous les exemples que vous citez, les sujets étant uniques et singuliers, les compléments qui suivent ne peuvent être que des compléments de verbe indirects, ce qui ne correspond à aucune construction de ce verbe, pourtant comme l’a noté Totoro et comme vous le notez également cette construction est de fait fréquente. Cette bizarrerie peut peut-être s’expliquer entre autres par les propositions que j’ai faites.
Edit
Et par ailleurs, au moins pour ce qui est du paysage (pour l’humeur, c’est peut-être défendable, quoique), même la forme transitive n’est pas vraiment acceptable, puisque cette forme n’accepte en principe que les personnes comme sujet.
*
2. [Le suj. désigne 2 ou plusieurs pers. ou leurs attributs] Jouer un rôle, accomplir une tâche en l’assumant à tour de rôle de manière répétée.
3. [Le suj. désigne des inanimés concr. ou abstr.] Se succéder tour à tour de manière répétée.
Seuls ces 3 emplois sont corrects :
A et B alternent
A alterne avec B
Je fais alterner A et B
NB : * »J’alterne A et B » : emploi transitif = abusif
# » J’oscille entre A et B » : expression d’une hésitation et non d’une volonté)
Seuls ces 3 emplois sont corrects :
A et B alternent.
A alterne avec B.
Je fais alterner A et B.
NB : *J’alterne A et B = emploi transitif => ABUSIF
# « J’oscille entre A et B => verbe exprimant une hésitation, non une volonté.