Analyser une négation
Bonjour,
J’ai la phrase suivante : « Il n’y a rien de vrai que ma passion. »
Pour analyser cette phrase uniquement au niveau de la négation, je sais qu’il y a la négation restrictive « ne…que ». Je sais aussi que « rien » est un pronom. Mais le « rien » est-il seul dans la phrase pour qualifier le « de vrai » ou le « ne » se répète-t-il pour donner « n’… rien » ? Plus clairement, les négations présentes sont-elles : « n’… rien » et « n’… que » avec le « n' » servant pour les deux négations ? Ou non ? Et sinon, pourquoi ?
Merci beaucoup !
Il n’y a de vrai que ma passion.
– double négation restrictive « ne…. que » qui équivaut à « seulement ».
>> il y a seulement ma passion de vrai
il n’y a rien de vrai que ma passion = il n’y a rien de vrai, il n’y a que ma passion de vrai : raccourci
Nous avons donc là deux doubles négations : ne… rien et ne…que
Vous pouvez dire que « ne » sert pour les deux négations, effectivement.
Attention : rien ne qualifie pas vrai. un pronom indéfini ne qualifie jamais rien, ce n’est pas dans ses fonctions. Au contraire, c’est « vrai », adjectif, qui qualifie le pronom. Entre les pronoms indéfinis et leurs adjectifs on place la préposition « de » : quelqu’un de gentil – personne d’intéressant – rien de vrai, etc
Vous écririez donc selon votre analyse : « Il n’y a rien d’utile que mon smartphone » ?
Pourquoi pas ? Syntaxiquement, cela me paraît correct.
La formulation est certes alambiquée et l’adjectif « utile » se prête mal à ce discours absolu.
Accepteriez-vous, au-delà d’une certaine maladresse peut-être : Rien n’est intéressant, que toi – rien n’est valable, que l’amour ?
Moi oui.
Et donc, ajouter « il y a » et « ne que » ne rend pas l’énoncé incorrect :; peut-être maladroit, mais pas incorrect. C’est ce qu’il me semble.
Il n’y a rien d’intéressant, que toi. Il n’y a rien de valable, que l’amour.
Dans ce document rédigé par une prof agrégée de lettres, d’où est extraite la capture ci-dessous, il n’est pas fait mention de la « factorisation » de ne, il semble donc qu’il n’y en ait qu’un seul :
Mais peut-être est-ce par simplification que rien n’est dit à ce sujet. Toutefois, j’ai l’impression qu’en l’espèce rien vient seulement renforcer l’expression, comme semble le montrer la série ci-dessous. Si c’est le cas, le ne serait effectivement unique et associé au que. Mais je n’affirme rien, je ne fais que supputer.
Il n’y a que ma passion = il y a seulement ma passion.
Il n’y a rien que ma passion = il n’y a rien hormis ma passion = il y a seulement ma passion.
Il n’y a de vrai que ma passion = il y a de vrai seulement ma passion.
Il n’y a rien de vrai que ma passion = il n’y a rien de vrai hormis passion = il y a de vrai seulement ma passion.
Quoique dans ces reformulations le ne semble plutôt associé à rien.
Conclusion, la question reste entière. En revanche, ce qui est certain, c’est que la phrase est correcte !
C’est la seule et unique occurrence que google books trouve.
Ngram la trouve également, mais est bien incapable d’en trouver un exemple avec les autres possessifs mon, ta, ton, etc.
Et une fois encore, on fait d’un exemple, un seul et unique, une justification à une phrase syntaxiquement incorrecte.
Cette tournure est incorrecte et Marivaux s’est autorisé à l’écrire.
Il faut raison garder avec ces histoires d’occurrences, ce qui compte ici c’est la structure. Après, il y a des milliers de façons de l’actualiser, qui évidemment ne se trouvent pas toutes dans Google, soit qu’elles n’ont jamais été réalisées, soit seulement à l’oral. Vous ne trouverez aucune occurrence de l’énoncé J’ai en horreur le chocolat au lait de la marque Lindt (enfin, maintenant, si ) ça ne le rend pas incorrect pour autant.
Allez jeter un œil dans l’entrée rien du Tlfi, partie II, paragraphe D. (En passant et pour revenir à la question posée, la façon dont c’est présenté, laisse supposer que ne est bien associé à rien et non à que.)
Il y a une seule négation dans cette phrase.
La négation se termine souvent par « pas », et quand on la termine autrement, le « pas » disparait :
— je ne mange pas, je ne mange que le lundi
Mais d’autres éléments peuvent être conservés :
— je ne mange guère, je ne mange guère que le lundi, je ne mange que le lundi
— il ne vient jamais, il ne vient jamais que le lundi, il ne vient que le lundi
— il ne peut que venir, il ne peut rien faire d’autre que venir
— je ne vois rien, je ne vois rien que du vide, je ne vois que du vide
C’est ce « rien » (mot qui étymologiquement veut dire « chose ») qui est ici qualifié de « vrai » : il n’y a pas une chose vraie sinon ma passion, il n’y a chose vraie que ma passion…
J’allais justement souligner que rien n’avait pas ici une valeur négative, mais je n’ai plus rien de mieux à ajouter (je n’ai plus chose meilleure à ajouter).
Pourtant, quand rien a une valeur positive, il est synonyme de quelque chose/quoi que ce soit (à partir d’exemples tirés de la 9e édition de l’Académie).
Ce n’est pas la peine de rien changer > Ce n’est pas la peine de changer quelque chose.
Je doute qu’il ait rien compris > Je doute qu’il ait compris quelque chose.
Rester incapable de rien dire > Rester incapable de dire quelque chose.
Il serait imprudent de rien entreprendre >Il serait imprudent d’entreprendre quelque chose.
Si rien pouvait l’affliger, c’était bien cette nouvelle > Si quelque chose pouvait l’affliger, c’était bien cette nouvelle.
Etc.
Cette substitution ne me semble pas possible pour la phrase de Marivaux (plus généralement pour cette structure). A contrario, quand il a valeur négative, il signifie aucune chose / nulle chose, que l’on peut effectivement substituer à rien dans la phrase de Marivaux.
Il n’y a quelque chose de vrai que ma passion ???
Il n’y a aucune chose de vrai que ma passion.
Cette structure est d’ailleurs rangée par le Tlfi, tout comme par l’Académie, dans la partie où rien a valeur négative.
Cependant, la substitution Il n’y a chose vraie que ma passion est acceptable et de même sens.
Rien, du lat. rem, acc. du subst. res « chose »
Dans votre proposition, chose étant précédé de ne, ça ne nous avance pas beaucoup pour déterminer si ce ne se rapporte uniquement à rien, uniquement à que ou aux deux avec une mise en facteur.
Je ne veux rien, peut se gloser par Je ne veux chose, et la présence de ne suffit à lui conférer une valeur négative.
Une des gloses faites par CParlotte, laisse supposer que c’est bien rien qui est nié (c’est peut-être d’ailleurs ce qu’il voulait démontrer – Il dit qu’il n’y a qu’une seule négation, mais il ne dit pas explicitement sur quoi elle porte, peut-être pensait-il au rien) :
Il n’y a pas une chose vraie sinon ma passion.
Phrase donc dans laquelle la négation porte sur rien/chose, et qui est d’ailleurs très proche (identique ?) à l’une que j’avais donnée :
il n’y a rien de vrai hormis passion
Dans laquelle, rien a valeur négative.
Mais, si le fait de remplacer ne … que par sinon/excepté/hormis permet de montrer que la négation porte sur rien, cela ne nous dit toujours pas si que peut avoir ou non une valeur restrictive sans ne et donc si le seul ne qui apparait en surface et seul aussi en profondeur ou pas.
Rien a ici une valeur négative
il n’y a rien de vrai que ma passion = il n’y a aucune chose de vrai
que ma passion : seulement ma passion
——
Extraits du TLF (c’est moi qui souligne et mets en gras) :
Concernant ne… que : présence ou non de l’adverbe ne
c) [Adjectif ou adverbe d’altérité] Autre, autrement, autre part, ailleurs que. Elle ne pouvait pas s’appeler autrement que Manon (Montherlant)
Pas d’autres livres que des dictionnaires. Rien ne doit distraire ou charmer. Rien ne doit y sauver de l’ennui, que le travail.(Gide)
[…]
Remarque [Que haplologique] Je ne demande pas mieux qu’il réussisse (Le Bidois). Dans une telle phrase que représente à la fois la conjonction de subordination et le que comparatif.
2. Ne … que (valeur exceptive ou restrictive). Ne … rien d’autre que, seulement.
[…]
− Par ellipse MmeRatinois, bas: Combien (de dot)? Ratinois, bas: Cent mille. MmeRatinois, à part: Que ça! (Labiche).
[…]
− Populaire, régional.
♦ J’arrive que. J’arrive seulement.
♦ Attendez que. Attendez seulement:
—————————–
Concernant rien et la préposition de
[Ne … que exprime une restriction par rapport à un ensemble dont les éléments ne sont pas perçus comme appartenant à une échelle de valeurs. Que peut être remplacé par ne + auxiliaire négatif (personne, rien, etc.) + que].
L’agent 64 jura de dire la vérité et de ne rien dire que la vérité (A. France).
[…]
Remarque. Ne … que appelle l’utilisation du prédéterminant de, qui apparaît obligatoirement avant la conjonction que. Elle n‘aurait de bonheur qu’auprès de moi (Las Cases).
On n‘a de chance qu’en suivant son tempérament et en l’exagérant (Flaubert).
Sous la négation avec pas (il ne boit pas que de l’eau), contrairement à l’usage du français classique, la tournure restrictive est inversée («il boit autre chose que de l’eau»).
Bonsoir,
pour moi votre formulation est incorrecte.
« Il n’y a rien de vrai que… » que est dans votre tournure un pronom relatif COD , dont l’antécédent est « rien de vrai » qui a pour fonction d’introduire une subordonnée relative et votre phrase n’en a pas : il vous manque au minimum un verbe. Exemple : » Il n’y a rien de vrai que je ne puisse entendre ».
« Il n’y rien de vrai » signifie que tout est faux. Si vous souhaitez exprimer une valeur superlative absolue, il vous faut utiliser la tournure : « Il n’y a rien de plus vrai que ma passion » tournure dans laquelle que est alors une conjonction qui introduit l’objet comparé.
Si vous souhaitez exprimer une valeur superlative moins forte, vous pouvez utiliser la tournure : « Il n’y a rien d’aussi vrai que ma passion ».
Si vous souhaitez dire que tout est faux, sauf votre passion, alors écrivez : « Il n’y a rien de vrai, excepté ma passion ou sauf ma passion, hormis ma passion, etc. »
J’ajoute qu’une passion, par définition, est difficilement vraie : elle peut être sincère, forte, profonde, etc.
