Qui sait ?
Comment typographiquement insérer au milieu d’un phrase une réflexion du type « Qui sait ? » ou « Que sais-je ? » : entre tirets ? entre virgules ? avec ou sans majuscule ? avec ou sans point d’interrogation ? Merci.
Je n’utiliserais pas de tirets ni de parenthèses.
Je reprends l’exemple de Cathy : Elle allait enfin prendre conscience, qui sait ?, qu’elle risquait bien de perdre son amoureux.
Voire : Elle allait enfin prendre conscience, qui sait, qu’elle risquait bien de perdre son amoureux.
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Cet article est intéressant : Le statut sémantique des incises et des incidentes du français | Cairn.info :
Extraits :
Tiens, dit-elle en ouvrant les rideaux, les voilà ! (Hugo, L
Mais, pourquoi le nier, certains enjeux politiques nous tiennent à cœur.
On prendra en considération toutes les propositions insérées dans une phrase, quelle que soit leur modalité énonciative (assertion, question ou exclamation, qu’elles comportent une inversion ou non et que la proposition soit syntaxiquement complète ou incomplète. On parlera de phrase-hôte et de phrase insérée pour décrire les deux propositions de la construction :
b. Les adhérents ont, le saviez-vous ?, une réduction de 20 %.
c. Les adhérents ont, sachez-le, une réduction de 20 %.
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Ou :
Elle allait enfin prendre conscience, qui sait ? … qu’elle risquait bien de perdre son amoureux.
Elle allait enfin prendre conscience…qui sait ? …qu’elle risquait bien de perdre son amoureux.
Qui sait (et non qui c’est) s’emploie pour exprimer l’incertitude quant à la proposition qui précède ou suit. La formule a perdu son sens interrogatif, de même que « que sais-je » qui marque plus une énumération non terminée.
Ça remobiliserait peut-être les abstentionnistes, qui sait ? — (journal 20 minutes, 8 avril 2022, page 8)
Qui sait, ils ont pu avoir des bouchons sur l’autoroute…
Qui sait si les médecins suffiront à la guérir…
Il sentait de nouveau son désir poindre et il lui fallait le tuer dans l’œuf, sinon qui sait ce qui aurait pu arriver ? — (Philippe Morvan, Ours, Calmann-Lévy, 2018)
Bien qu’il soit en mauvais termes avec sa soeur et qu’il ne l’ait pas vue depuis deux mois, il viendra peut-être avec elle, qui sait.
Comme vous le voyez, c’est très variable. Vous pouvez laisser votre phrase telle quelle (en évitant redonner) ou ponctuer.
Une jeune mendiante attend quelques euros qu’elle donnera tout à l’heure à un homme de main, peut-être le père du bébé, qui sait ?
Merci Joëlle d’avoir cité mon ami Philippe Morvan, mais ma question portait sur la typographie d’une incise centrale. Avec les réponses contraires de Tara et de Cathy, me voilà bien embarrassé.
Il me semblait que ma réponse indiquait l’aspect typographique, quelque chose de simple et léger, une virgule ( ou deux pour une incise) tout au plus et parfois un point d’interrogation. Pas de parenthèses ni de tirets.
Sauf qu’il n’y a aucun exemple d’incise centrale.
Je souhaite tout d’abord revenir sur la locution « Que sais-je ? », qui a été créée par le grand philosophe Montaigne, inspirée par la phrase de Socrate « Tout ce que je sais c’est que je ne sais rien« , et qui n’a rien à voir avec « que sais-je encore ? « , que l’on emploie effectivement à la suite d’une énumération, comme le souligne Joëlle :
« Que sais-je ? » n’est pas une question anodine mais bien une interrogation par laquelle Montaigne cherchait à échapper à l’aporie sceptique qui amène à douter même du doute. Voir ICI
«Montaigne ne prend la position du scepticisme que pour ruiner les fondements de l’athéisme rationaliste», remarque Michel Bouvier. En pleine période de querelles religieuses, Montaigne affirme avec vigueur la nécessité du questionnement contre tous les fanatismes, qu’ils soient rationalistes ou spirituels. «L’ignorance qui se connaît, qui se juge et qui se condamne, écrit Montaigne, n’est pas une entière ignorance : pour l’être, il faut qu’elle s’ignore elle-même.» Tel est le sens du fameux «Que sais-je ?» Il ne faut pas recevoir les opinions sans examen. Ni craindre la contradiction ou les controverses. Avoir le courage d’affronter les préjugés et de démasquer les faussetés, voilà la leçon de Pyrrhon que reprend Montaigne à son compte, et que nous devrions aussi refaire nôtre. Voir ICI
Je ne résiste pas au plaisir de vous citer le passage des Essais, où Montaigne délivre son fameux « Que sais-je ? », car il est non seulement d’une intelligence incroyable, mais aussi lourd d’enseignements. Il semble même s’adresser à nous, contributeurs sur ce site…
Vous remarquerez, cher Bruno, vous qui adorez les citations pour prouver qu’une tournure est « acceptable puisque usitée », qu’à l’époque notre belle langue et ses tournures étaient très différentes, il n’y avait pas d’accents sur les voyelles, et certaines orthographes nous feraient aujourd’hui dresser les cheveux sur la tête ;°) Mais surtout, vous obtiendrez une réponse possible à votre question, de la plume de Montaigne lui-même, dans la dernière phrase ! Je ne sais pas si elle vous satisfera, mais elle a le mérite d’avoir existé :
Montaigne marquera cette devise « Que sais-je ? » sur une médaille qu’il fit frapper en 1576
« Nostre parler a ses foiblesses et ses deffaults, comme tout le reste. La plus part des occasions des troubles du monde sont Grammariens. Noz procez ne naissent que du debat de l’interpretation des loix ; et la plus part des guerres, de cette impuissance de n’avoir sçeu clairement exprimer les conventions et traictez d’accord des Princes. Combien de querelles et combien importantes a produit au monde le doubte du sens de cette syllabe, Hoc ? Prenons la clause que la Logique mesmes nous presentera pour la plus claire. Si vous dictes, Il faict beau temps, et que vous dissiez verité, il faict donc beau temps. Voyla pas une forme de parler certaine ? Encore nous trompera elle : Qu’il soit ainsi, suyvons l’exemple : si vous dites, Je ments, et que vous dissiez vray, vous mentez donc. L’art, la raison, la force de la conclusion de cette-cy, sont pareilles à l’autre, toutesfois nous voyla embourbez. Je voy les philosophes Pyrrhoniens qui ne peuvent exprimer leur generale conception en aucune maniere de parler : car il leur faudroit un nouveau langage. Le nostre est tout formé de propositions affirmatives, qui leur sont du tout ennemies. De façon que quand ils disent, Je doubte, on les tient incontinent à la gorge, pour leur faire avouër, qu’aumoins assurent et sçavent ils cela, qu’ils doubtent. Ainsin on les a contraints de se sauver dans cette comparaison de la medecine, sans laquelle leur humeur seroit inexplicable. Quand ils prononcent, J’ignore, ou, Je doubte, ils disent que cette proposition s’emporte elle mesme quant et quant le reste : ny plus ny moins que la rubarbe, qui pousse hors les mauvaises humeurs, et s’emporte hors quant et quant elle mesmes. Cette fantasie est plus seurement conceuë par interrogation : Que sçay-je ? comme je la porte à la devise d’une balance. »
Merci, chère Cathy, pour cette belle référence. Ne me prêtez pas plus que de raison, mes lettres sont bien modestes. Je découvre ainsi avec surprise et plaisir ce texte de Montaigne, et combien Descartes s’en est inspiré. Merci encore.
Je pense que vous pouvez l’insérer entre parenthèses ou entre tirets (mais pas entre virgules, à cause du point d’interrogation qui rendrait le tout peu lisible), avec un point d’interrogation, et à mon sens la majuscule ne se justifie pas ici :
Elle allait enfin prendre conscience _ qui sait ? _ qu’elle risquait bien de perdre son amoureux…
Elle allait enfin prendre conscience (qui sait ? ) qu’elle risquait bien de perdre son amoureux…
Je me mettais à douter même de mes compétences _ que sais-je ?… _ et ne réussissais pas à trouver de solution.
Je me mettais à douter même de mes compétences (que sais-je ?… ) et ne réussissais pas à trouver de solution.
Je suis curieuse de savoir ce qui me vaut ce vote négatif… Ayez au moins le courage de vos convictions !
Je souhaite maintenant revenir sur les incises, et les règles de typographie et de ponctuation qui s’y rapportent.
Lors de mes recherches sur le sujet, j’ai d’abord trouvé ceci :
Parfois nommée incise de narration, l’incise est une proposition qu’on introduit à l’intérieur ou à la fin d’une autre proposition afin de signaler qu’on rapporte les paroles ou les pensées d’une personne… Ces incises se placent généralement après une virgule, un point d’interrogation ou un point d’exclamation.
J’en ai donc conclu que votre question ne portait pas sur les incises, puisque la question que vous posez ne s’y rapporte pas, et je vous ai fait grâce des règles de typographie qui s’imposent. Voir ICI
J’ai pensé que ce serait vous faire injure car, étant donné l’étendue de vos connaissances, vous savez déjà tout cela par cœur, c’est évident !
Votre cas est très différent, puisqu’il s’agit d’insérer vos propres pensées dans les phrases que vous écrivez.
J’ai donc cru comprendre que vous nous demandiez notre avis, et j’ai donc répondu en tant qu’auteur, en m’appuyant sur la typographie et la ponctuation que j’emploie moi-même en pareille situation.
Comme je le dis dans ma réponse, j’ai une nette préférence pour les tirets, notamment si la phrase est longue, mais la mise entre parenthèses me semble très convenable également.
Ce qui compte, c’est que le lecteur comprenne bien qu’il s’agit d’une intervention de l’auteur. Raison pour laquelle la mise entre virgules sera moins parlante, car moins lisible, surtout avec un point d’interrogation ou d’exclamation.
Par exemple :
Elle va finir par comprendre, j’ose l’espérer, mais je finis par en douter ! , qu’elle est en train de le perdre.
Personnellement, je trouve cela illisible (idem avec le point d’interrogation !)
Et puis surtout, puisque vous en êtes l’auteur, je vais répéter ce que je dis toujours, c’est à vous de décider comment vous écrivez et avec quelle ponctuation _ du moment que vous êtes compris par vos lecteurs _ même si cela va à l’encontre des règles établies, puisque cela n’engage que vous !
Personnellement je ne suis pas convaincue par la façon dont le grand Montaigne écrit : « Cette fantasie est plus seurement conceuë par interrogation : Que sçay-je ? comme je la porte à la devise d’une balance. »
Mais ça n’engage que moi ;°)
Il est vrai que l’emploi des tirets permet en outre de bien distinguer les incises de réflexion des simples incises de dialogue. Comme la règle typographique est assez souple, il faut évaluer l’intérêt de telle ou telle solution en fonction du caractère général du texte… et le cas échéant des consignes de l’éditeur. L’important est effectivement la lisibilité.
Merci à toutes les trois,
Avec ce type d’incise qui n’est pas le type le plus courant, qui introduit une réflexion du narrateur dans le récit, je crois que, dans un texte court, je continuerais à privilégier les tirets. C’est classique et imparable :
« Elle allait enfin prendre conscience – qui sait ? – qu’elle risquait bien de perdre son amoureux.«
Dans un texte long, comportant potentiellement de nombreuses incises, pour lesquelles l’encadrement par des virgules est devenu la norme habituelle, je me verrais mal faire une exception juste pour les propositions intercalées interrogatives. La séquence point d’interrogation-virgule me gêne cependant. J’ai trouvé dans un guide gouvernemental québécois de recommandations rédactionnelles ce rappel : « Le point d’interrogation, suivi ou non des guillemets, tient lieu de virgule lorsqu’il précède une incise ou qu’il coïncide avec la fin d’une proposition intercalée (Il a juré, pourquoi douterais-je de sa parole ? qu’il ne savait rien.) Cependant, certains auteurs ou imprimeurs couplent la virgule et le point d’interrogation. »
Cela donnerait avec l’exemple fourni par Cathy :
« Elle allait enfin prendre conscience, qui sait ? qu’elle risquait bien de perdre son amoureux.«
Je ne suis pas d’accord avec votre point d’interrogation au milieu de la phrase…
… »qui sait ? qu’elle risquait bien de perdre son amoureux. » très bizarre.
Au contraire, les récits sont truffés d’incises qui sont des commentaires du narrateur.
Je me suis amusée à en chercher quelques unes et j’ai constaté une grande liberté dans le choix typographique :
Parenthèses :
Il faut convenir qu’elle était bien séduisante en ce moment, certainement jamais femme n’avait moins ressemblé à une poupée parisienne (Ce mot était la grande objection de Julien contre les femmes de ce pays).
Italiques :
On eut ensuite de très belles journées. Je dis « on », naturellement je n’y étais pas puisque tout ça se passait en 1843 mais j’ai tellement dû interroger et m’y mettre pour avoir un peu du fin mot que j’ai fini par faire partie de la chose ; et d’ailleurs j’imagine qu’il y eut un de ces automnes opulents que nous connaissons, vous et moi.
Il semble que ces typographies soient choisies pour mettre en évidence ces incises, pour bien marquer la rupture dans le récit. C’est un effet de style
Mais ailleurs, mise entre virgules, entre tirets, ponctuation ? et ! et … parfois conservée avec ajout ou non de virgule.
Remarque : qui sait ? est une incise qui sert à modaliser l’énoncé. Comme pourquoi pas ? croyons-nous, pourquoi le nier, etc. J’ai pu remarquer que ce type d’incises se veulent très discrètes et n’utilisent généralement comme ponctuation, que les virgules.
Ma conclusion : effet de style :typographie voyante, discrète modalisation : virgules.
Merci Tara d’avoir exploré les différentes solutions mises en œuvre par les éditeurs ou par les auteurs. Pas de règle contraignante, donc ! J’acquiesce à votre conclusion.