Participe passé passif et antéposition
Peut-on sous-entendre les auxiliaires d’un participe passé passif pour antéposer la forme ainsi raccourcie au tout début de la phrase ? J’ai l’impression d’avoir déjà vu ce genre de construction. Est-elle correcte ou s’agit-il seulement d’une licence poétique ? Par exemple, pourrait-on dire : « Prononcés ces derniers mots d’apaisement, le patriarche rendit l’âme serein. » pour « Ces derniers mots d’apaisement (ayant été) prononcés, le patriarche rendit l’âme serein. » ? Si vous connaissez des exemples chez des écrivains, merci de les partager.
Question intéressante. J’essaie plus d’analyser que de vous répondre de façon tranchée.
Prononcés ces derniers mots d’apaisement, le patriarche rendit l’âme serein. » pour « Ces derniers mots d’apaisement (ayant été) prononcés, le patriarche rendit l’âme, serein.
Oui, c’est une formulation que moi aussi j’ai pu rencontrer mais qui est peut-être vieillie, en tous cas pas claire parce qu’on entend le participe passé comme mis en apposition d’un nom à venir dans la phrase et non comme un des éléments du participe présent composé.
En général, comme vous le savez, le participe passé seul se rapporte à un nom sur lequel il donne une information. Ce nom doit le suivre de près.
Prononcés, ces mots …
Ensuite, on continue comme on veut mais attention à la fonction de « ces mots » qui est de toutes façons le thème* de la phrase
…apaisèrent le patriarche
… qu’il avait lui-même prononcés, apaisèrent le patriarche
…il les oublia aussitôt
Ces derniers mots d’apaisement prononcés, le patriarche rendit l’âme, serein.
*thème = ce dont on parle – propos = ce qu’on en dit
—-
Voici ce que je lis dans : Du participe passé en français: fonctionnements, valeur en langue et effets de sens en discours – BresLeBellec p.p..pdf
l’emploi du p.p. nu est impossible avec un verbe transitif en incidence au prime actant6,
comme p. ex. ouvrir :
(12) le point d’orgue était l’instant où, *ouvert la porte, […] il me plaquait contre lui.
Comme précédemment en (ii), le p.p. doit dans ce cas être remplacé par le p. présent
analytique7:
(12a) le point d’orgue était l’instant où, m’ayant ouvert la porte, sans dire bonjour ni bonsoir, lui et moi
encore engoncés dans nos manteaux, il me plaquait avec brusquerie contre lui. (C. Millet, La Vie
Merci Tara pour ce document très intéressant mais au vocabulaire théorique généralement hermétique pour moi. Heureusement les exemples permettent de comprendre ce que les auteurs veulent dire.
Grammaticalement parlant, votre première proposition n’est pas acceptable :
Tout comme l’adjectif, le participe passé employé seul s’accorde en genre et en nombre avec le mot auquel il se rapporte. Lorsqu’il est placé au début de la phrase, on dit qu’il est en apposition :
Prononcés d’une voix douce, ces derniers mots apaisèrent le patriarche, qui mourut sereinement.
De plus, l’élision de l’auxiliaire prête à confusion, pour ce qui est de l’accord, car on ne sait pas qui a prononcé ces mots, (le patriarche ou quelqu’un d’autre ? ) :
[ Après avoir ] prononcé ces quelques mots, il rendit l’âme.
[ Une fois qu’ont été ] prononcés ces quelques mots…
Pour ce qui est de votre seconde proposition, elle est correcte, si c’est le patriarche qui a prononcé ces mots :
Ces derniers mots prononcés, il rendit l’âme.
Malgré tout, la tournure est assez lourde…
Bonjour,
pour ma part je ne vois pas ce qui pourrait justifier l’ellipse d’une partie de ce qui constitue le gérondif passé : «Ayant prononcé ces derniers mots d’apaisement, le patriarche rendit l’âme serein. » alors que la tournure attributive correcte existe : «Ces derniers mots d’apaisement prononcés, le patriarche rendit l’âme serein. »
De même que l’utilisation par un écrivain (Qu’est-ce qu’un écrivain au demeurant ?) de cette tournure ne justifierait en rien de sa correction.
L’exemple est ambigu, je le concède, et je n’aurais pas l’idée de m’exprimer ordinairement ainsi. Pour préciser qui parle, j’ajoute cette première phrase : « Après l’avoir béni, le curé l’assura que tous ses péchés étaient pardonnés. Prononcés ces derniers mots d’apaisement, le patriarche rendit l’âme, serein. »
Il me semble que ce genre de formulation est à l’origine des participes passés devenus prépositions, dont l’Académie considère encore qu’ils peuvent être accordés dans certains cas : « Paul s’était inscrit au concours avec beaucoup d’appréhension. Passées les premières épreuves, il se sentit soulagé et confiant. »
Je me demandai si des écrivains classiques avaient usé de cette construction avec d’autres participes que ceux devenus des expressions figées et s’il était encore possible de le faire.
Je vous livre mon sentiment, qui n’a rien d’une certitude : avec le rajout de votre première phrase, la seconde me parait être une anacoluthe, y compris et surtout si « prononcés » n’est pas antéposé (« ces derniers mots d’apaisement prononcés [sous-entendu : par le curé, qui est déjà un peu loin de la principale] – le patriarche rendit l’âme, serein. » Et curieusement, le fait d’antéposer le participe passé rapproche les mots prononcés de leur auteur (le curé). Je ne dis pas que cette construction est correcte, simplement on en perçoit une relative utilité.
Si le patriarche avait été l’auteur des mots d’apaisement, personnellement je ne vois pas pourquoi on « aurait le droit » d’écrire « Paul s’était inscrit au concours avec beaucoup d’appréhension. Passées les premières épreuves, il se sentit soulagé et confiant», et pas « Le patriarche soulagea à haute voix son angoisse avec une longue prière réconfortante, inventée de toutes pièces. Prononcés ces derniers mots d’apaisement, il rendit l’âme, serein. »
Il y a peut-être une nuance qui m’échappe. En tous cas, tout comme vous, je pense avoir déjà rencontré ce type de construction, y compris chez des auteurs contemporains, y compris également avec des verbes autres que ceux devenus préposition. J’essayerai d’y être attentive lors de mes prochaines lectures !
Si vous possédez le Grevisse 14è édition, le paragraphe 259 , ne concernant hélas que la variabilité / invariabilité du participe passé antéposé, donne (entre autres) cet exemple : « : Ôtée la casserole, la chevelure du patient apparut curieusement crénelée (PAGNOL, Temps des secrets, p. 23) ».
Oui anacoluthe ou alors forme vieillie. Il faudrait voir plus avant.