usage : subjonctif présent ou passé, langage écrit mais non soutenu
Bonjour et bonne année !
je me demandais si je pouvais garder quelques subjonctifs passés dans mon texte, même si de nos jours on le remplace souvent par le présent, ou s’il vaut mieux les supprimer tous pour homogénéiser…
Qu’en pensez-vous ?
Merci
Exemple:
« Il ne lui avait jamais traversé l’esprit que cet homme pût être un de ces êtres dégénérés et incurables qui étaient au-delà de l’aide de quiconque » (ou puisse ?)
J’aurais comme vous du mal à utiliser un subjonctif présent dans votre phrase, car à mon oreille, « pût être » est le bon temps, tandis que « puisse être » répond à l’exigence moderne de bannir le subjonctif imparfait mais sonne comme une apparition intrusive d’un présent dans un contexte passé.
Souvent, le subjonctif présent évoque un futur proche :
— Je ne veux pas qu’il soit mis au courant.
Au passé, l’absence de concordance ne pose aucun problème, bien au contraire, car le « fût » de simultanéité transcrirait artificiellement, de nos jours, le futur proche :
— Je ne voulais pas qu’il fût mis au courant.
On préfère généralement :
— Je ne voulais pas qu’il soit mis au courant.
Mais quand le subjonctif n’est pas dû à une attente, à une volonté, une nécessité, mais exige un temps de simultanéité car le verbe au subjonctif ne dépend pas chronologiquement du verbe de la principale, il est souvent aberrant de le mettre au présent.
La phrase au présent :
— Je ne pense pas qu’il soit aussi grand que tu le dis.
s’écrit prétendument de façon moderne :
— Je ne pensais pas qu’il soit aussi grand que tu le disais.
L’absence de concordance m’est très désagréable, au point qu’à l’oral, comme beaucoup de monde, je préfère conserver le passé au détriment du subjonctif plutôt que de conserver le subjonctif au détriment du passé :
— Je ne pensais pas qu’il était aussi grand que tu le disais.
L’écrit réconcilie les nécessités du subjonctif et du passé :
— Je ne pensais pas qu’il fût aussi grand que tu le disais.
Selon moi, si vous analysez le rôle de chaque subjonctif, et si vous identifiez les verbes pour laquelle la concordance des temps au subjonctif est porteuse de sens, vous pouvez utiliser dans un même texte au passé des subjonctifs présent et imparfait.
Par chance, on constate que les cas de simultanéité obligatoire utilisent souvent le verbe être (y compris pouvoir être), et ce verbe passe encore très bien au subjonctif imparfait.
— Il fallait que vous me le demandiez (plutôt que demandassiez).
— Il fallait que que vous fussiez mon ennemi pour ne pas me le demander (plutôt que soyez).
Mais le verbe être au présent comme futur proche (et non comme constat de simultanéité) conservera avantageusement son présent dans un texte moderne.
— Il fallait que vous soyez à l’heure le lendemain.
Si vous décidiez d’appliquer ce principe, alors, je vous approuverais d’écrire :
— J’ignorais qu’il pût être une de ces personnes qui… (ou qu’il fût)
— Je souhaitais qu’il puisse être à l’heure le lendemain… (ou qu’il soit)
Pour niveler votre texte et éradiquer le subjonctif imparfait, trop souvent qualifié d’élitiste ou d’humoristique, ne passez pas au subjonctif présent, mais par exemple à l’indicatif imparfait, si nécessaire en changeant le verbe introducteur :
— Je n’avais pas pensé qu’il pouvait être une de ces personnes qui… (ou qu’il était)
***
Complément pour d’autres cas, avec d’autres causes au subjonctif, et d’autres verbes que le verbe être, par exemple l’obligation du subjonctif après « bien que ».
— Bien que je sois cuisinier, je mange peu.
— Bien que je fusse à cette époque cuisinier, je mangeais peu.
L’absence de concordance est très choquante puisqu’elle perd la notion de simultanéité :
— Bien que je sois à cette époque cuisinier, je mangeais peu.
On voit que la préconisation moderne de passer tous les subjonctifs imparfaits à des subjonctifs présents est ridicule et inapplicable.
En quittant le verbe « être », cela devient beaucoup plus délicat encore, car il faut choisir entre une tournure ridicule et une tournure sans concordance :
— Bien que je cuisinasse beaucoup à cette époque, je mangeais peu.
— Bien que je cuisine beaucoup à cette époque, je mangeais peu.
Je suis pour ma part souvent amené à trouver une formule au passé n’utilisant pas le subjonctif :
— Si je cuisinais beaucoup à cette époque, je mangeais peu.
***
Surtout, ne vous lancez pas dans une entreprise consistant à aplatir inconsidérément tous vous subjonctifs imparfaits pour en faire des subjonctifs présents. Si vous avez laissé traîner des subjonctifs imparfaits, vous aviez certainement de bonnes raisons.
Vous pouvez par exemple :
* maintenir les subjonctifs imparfaits avec le verbe être pour les cas de simultanéité obligatoire ;
* changer la construction de la phrase avec d’autres verbes que être pour les cas de simultanéité obligatoire ;
* utiliser le subjonctif présent, même avec le verbe être, quand la concordance n’exprime pas un caractère durable et simultané du verbe au subjonctif par rapport au verbe de la principale.
Grand merci pour cette réponse détaillée que je vais me garder sous le coude !
Je ressens les choses comme vous, même si je ne sais pas toujours bien me dépatouiller. En tous cas bien d’accord avec vous pour garder la concordance et les subjonctifs imparfaits.
Je proposerai sans doute encore de temps en temps une phrase sur le site pour vérifier. Mon oreille perçoit les défauts mais je manque de pratique dans les différents temps passés et je doute parfois de l’harmonie des temps et des modes dans une phrase. Mais votre explication est très claire !
Si vous lisez, s’il vous semble que vous maîtrisez l’usage classique et systématique du subjonctif imparfait dans certains textes, si vous admettez cependant l’existence de l’usage moderne du subjonctif présent dans un contexte passé dans de nombreux textes actuels, si vous avez repéré que le subjonctif présent ne rend parfois malgré tout pas la nuance du passé quand elle semble nécessaire, alors vous en savez autant que nous. Vous êtes arrivée au stade de vous inscrire sur un forum d’écrivains, pour discuter de style et de nuances, et d’abandonner progressivement un site aux avis trop normatifs ou trop peu éclairés.
Si on vous a dit que le subjonctif imparfait est devenu depuis 1950 une anomalie qu’il faut supprimer, il est légitime que vous soyez venue vérifier sur un site de grammaire que l’écriture moderne n’interdit pas le subjonctif imparfait là où il est porteur de sens. Certes le subjonctif imparfait s’utilise de moins en moins, mais sa suppression programmée par l’enseignement scolaire ne permet pas d’affirmer qu’on doive choisir entre le remplacer systématiquement par un subjonctif présent pour être moderne, et le conserver systématiquement pour caricaturer l’écriture à l’ancienne.
Personnellement, je lis des vieux livres avec parfois trop de concordances artificielles à mon goût (je voulais qu’il vînt), et des articles modernes sans égards pour la signification des temps (bien qu’il soit alors encore en vie). Sans prétendre que la bonne écriture est dans le juste milieu, je pense que c’est à des productions littéraires d’éclairer les grammairiens qui doivent s’appuyer sur le sens des textes pour en tirer des règles, et non aux grammairiens d’imposer une pauvreté de nuances pour des raisons arbitraires à ceux qui font s’épanouir la langue du moment et lui donnent une forme normée, avec souvent un supplément de sens, par leurs publications.
Merci pour votre analyse Adrian.
Un forum d’écrivain ? par exemple ? 😉
Sur jeunesecrivains.superforum.fr, j’ai rencontré des gens qui partagent leurs idées sur les meilleurs temps à employer, sur le style en général, et qui confrontent leurs textes (mais je n’y suis plus allé depuis plusieurs années).
Merci, bien reçu !
Myrtille,
1. Vous ne confondriez pas le passé du subj. avec l’imp. de ce mode ? 🙂 Vous parlez du subj. passé mais vous employez le subj. imp.
Subjonctif passé : qu’il ait ou (être).
Subjonctif imparfait : qu’il pût (être).
(PQP du subj. : qu’il eût pu – être).
2. Pût être. La liaison est facultative.
Oui, l’imparfait c’est du passé… Merci pour cette distinction.
Salut Myrtille et bonne année ! 🙂
Comme je l’ai déjà indiqué sur ce site, il est préférable d’éviter « pût » pour un raison d’euphonie ; de même pour « vous pûtes » (passé simple), etc.
Merci Prince, je retiens pour une autre fois, mais je ne suis pas convaincue par l’argument , pour cette phrase en particulier.
Ce n’est pas « que cet homme pue » mais « que cet homme pût être » (avec la liaison), et j’ai peut-être trop de langage soutenu dans les neurones ?…
D’accord avec vous Myrtille. Pour ma part, je refuse de fonctionner comme les Précieuses et refuser les syllabes inconvenantes. Il est vrai cependant que chacun fait comme il le … sent, Prince.
Les imparfaits du subjonctif passent très bien à la troisième personne du singulier. Ce n’est que mon avis, mais je ne m’en priverais pas, à condition qu’il ne côtoie pas un autre subjonctif à une autre personne, présent cette fois-ci.
Tara, je suis quasiment certain que vous refusez certaines « syllabes inconvenantes ».
Merci Tara, c’est la réponse que j’attendais. Et en effet, je fais attention à ne pas mélanger les genres dans un même paragraphe !